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vendredi, décembre 5, 2025

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Yassine Fennane : « Je veux raconter les invisibles, ceux dont personne ne parle »

Au Festival international du film de Marrakech, le réalisateur et scénariste marocain présente “Les Fourmis”, un long-métrage profondément personnel, inspiré d’un fragment de vie devenu matière de cinéma. Entre regards sur l’évolution du 7ᵉ art national, frontières entre télévision et grand écran, et défense d’un cinéma de l’émotion, Yassine Fennane se confie à L’Opinion.

Invité dans le cadre du Panorama du cinéma marocain, Yassine Fennane dévoile cette année Les Fourmis, son troisième long-métrage. Une œuvre mûrie sur plusieurs années, écrite avec Reda Ahmed El Achir depuis 2018, et dont le point de départ tient à une simple anecdote personnelle : une arnaque autour du recrutement d’une femme de ménage. « À partir de cette petite histoire, j’ai tissé une intrigue autour de trois personnages à Tanger », explique le réalisateur.
 
La ville du Détroit n’est pas un décor neutre. Elle devient le socle d’un “monde idéal”, dit-il, où les cultures se rencontrent, où les identités se croisent, où les religions cohabitent naturellement. Un choix assumé dans un contexte international marqué par la montée des discours racistes et des replis identitaires. « Il m’a semblé nécessaire de raconter une histoire qui défend le métissage et le multiculturalisme », confie-t-il.
 
Entre télévision et cinéma : deux terrains, une même exigence
 
Fennane revendique une double identité artistique, nourrie par des séries télévisées populaires tout autant que par des œuvres de cinéma portées vers les festivals. « Je suis un peu Dr. Jekyll et Mr. Hyde », sourit-il.
 
La différence entre les deux formats ? L’audience avant tout. La télévision pénètre l’intimité des foyers, tandis que le cinéma suppose un effort volontaire : acheter un ticket, se déplacer, vivre une expérience collective. Deux modes de réception, mais une fierté égale : « Quand une série touche les familles, c’est un succès fort. Quand un film rencontre son public en festival, c’est un honneur tout aussi grand. »
 
Face aux débats récurrents sur la liberté créative à la télévision marocaine, le réalisateur nuance : selon lui, le vent de liberté soufflait déjà sur certaines productions il y a quinze ans, et continue de se frayer un chemin aujourd’hui. Il cite notamment le travail d’Ayoub Lahnoud et évoque son propre téléfilm à venir, consacré aux relations toxiques dans le couple, un sujet rarement exploré sur le petit écran.

« Choquer ne m’intéresse pas : je veux toucher »
 
Interrogé sur les limites culturelles, les tabous et les sensibilités du public marocain, Yassine Fennane se montre clair : la provocation gratuite ne fait pas partie de son langage artistique. « Le choc est un sentiment, oui, mais ce n’est pas ce que je recherche », insiste-t-il.
 
S’il admire des cinéastes subversifs tels que Gaspar Noé ou John Waters, il affirme suivre une voie différente : « Je veux parler de ceux qu’on ne voit pas, des gens de la marge qui dégagent une humanité forte. Ce qui m’intéresse, c’est l’émotion. »
 
Pour lui, la finalité reste la même, que ce soit en télévision ou au cinéma : atteindre la sensibilité du spectateur, créer une résonance intérieure durable, plutôt qu’un simple sursaut.
 
Le cinéma marocain : une évolution structurelle, une nouvelle génération prometteuse
 
Fennane observe avec lucidité l’évolution du paysage cinématographique national. Il se souvient d’une époque où le Maroc produisait un à deux films par an. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine, auxquels s’ajoutent les projets autoproduits. « C’est une avancée énorme », note-t-il.
 
Si les thématiques n’évoluent pas au même rythme – un phénomène qu’il juge normal – une nouvelle génération apporte des regards résolument modernes. Il cite entre autres le film Mauvais Temps, ou encore Les Meutes.
 
Les écoles de cinéma, désormais nombreuses, contribuent à ce mouvement. Une jeunesse formée, nourrie d’images et de références, arrive avec une maîtrise technique qui dépasse largement celle de la génération précédente. « Ce sont des enfants de l’image », résume-t-il.
 
Le défi des salles obscures à l’ère du smartphone
 
La question des salles de cinéma demeure une préoccupation majeure. Le Maroc comptait autrefois un vaste réseau de ciné-clubs et de salles urbaines. Aujourd’hui, la diminution est flagrante. Mais Fennane refuse le discours nostalgique : « C’est une époque différente. »
 
Les nouvelles générations consomment l’image autrement. « Ma fille regarde des vidéos de trente secondes sur TikTok », constate-t-il. Une transformation qui ne l’inquiète pas : il y voit plutôt un changement de paradigme, avec ses propres codes et sa propre créativité.

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