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lundi, décembre 8, 2025

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Ubérisation : Concept qui fait fortune ailleurs, mais qui trébuche au Maroc

Né du succès d’Uber au début des années 2010, le terme «ubérisation» désigne à l’origine un modèle reliant directement offre et demande grâce aux plateformes numériques. Popularisé par l’essor d’Airbnb puis de nombreux services de livraison, de commerce en ligne ou d’aide à domicile, il s’est rapidement étendu à des secteurs parfois très régulés. Au Maroc, il continue pourtant de susciter la controverse faute de régulation adéquate et précise.

Il y a près de deux semaines, Uber a annoncé son retour au Maroc avec un déploiement initial de ses services dans les villes de Casablanca et Marrakech. Le géant mondial des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) prévoit le lancement d’un dispositif spécial à l’approche de la CAN, alors que la polémique de la légalité bat toujours son plein. Le tollé sur la Toile ramène sur la table le concept de l’«ubérisation», né du nom de l’entreprise américaine Uber au début des années 2010, désignant initialement un modèle économique fondé sur la mise en relation directe entre offre et demande via des plateformes numériques. Rapidement popularisé, le concept s’est élargi, avec Airbnb dans l’hébergement, puis à une multitude d’autres secteurs : livraison de repas, services à domicile, commerce en ligne, voire des métiers traditionnellement régulés ou corporatistes. Une récente analyse du Policy Center for the New South (PCNS) note que le développement de ce concept au Maroc, tout comme dans les pays en voie de développement, rencontre des contraintes particulières. Le marché du travail reste marqué par l’informalité et la précarité. Les limites des infrastructures numériques, le faible taux de bancarisation et certaines rigidités institutionnelles freinent également l’essor des plateformes. Pourtant, ces difficultés sont contrebalancées par l’opportunité stratégique qu’offre l’«ubérisation», qui permet de dépasser les modes traditionnels d’organisation des métiers (corporatisme, dépendance à l’État, logique clientélaire) tout en favorisant la liberté individuelle d’entreprendre et en offrant des revenus flexibles à de nombreux jeunes, femmes et travailleurs marginalisés.

Contraintes juridico-sociales 

Le rapport souligne que pour transformer l’«ubérisation» en moteur de croissance et d’emploi, il est nécessaire d’en faire une véritable politique publique multisectorielle et coordonnée. L’État doit définir un cadre stratégique global harmonisant les principes communs à tous les secteurs : transparence des conditions de travail, protection sociale minimale, responsabilité des plateformes, équité fiscale et concurrence loyale. Ce cadre constituerait une base commune tout en laissant la possibilité d’adapter les règles aux spécificités du transport, des services à domicile, de la livraison ou du tourisme. Une telle approche doit également, selon la même source, soutenir l’innovation locale afin de favoriser l’émergence de plateformes marocaines capables de répondre aux besoins du marché national, plutôt que de dépendre uniquement d’acteurs internationaux. L’élargissement de l’accès aux services numériques, en particulier pour les jeunes et les femmes, est essentiel pour garantir une adoption inclusive de ces nouveaux modèles économiques. L’«ubérisation» soulève aussi des enjeux sociaux et numériques majeurs : précarisation des travailleurs, asymétrie de pouvoir entre plateformes et prestataires, gouvernance et souveraineté des données. Ces risques imposent une régulation équilibrée conciliant innovation, protection et sécurité numérique.

Près de dix ans après son introduction, son impact demeure mitigé, en raison du décalage entre un modèle importé et les réalités juridiques, économiques et culturelles du pays. À l’approche de la Coupe du Monde 2030 et d’autres grands événements, une intégration rapide, inclusive et adaptée devient stratégique pour l’image du Maroc et l’optimisation des retombées économiques. L’enjeu est donc de sécuriser et encadrer les pratiques pour protéger travailleurs et usagers, tout en favorisant l’émergence de champions locaux capables de contribuer à la modernisation et à la compétitivité du pays.

Opter pour un déploiement inclusif 

Au-delà des enjeux économiques et sociaux, l’«ubérisation» met en lumière la nécessité de mieux articuler les réformes qui influencent directement ou indirectement ce phénomène. La réussite de l’intégration des plateformes numériques dépend en effet de la convergence de plusieurs politiques publiques, notamment la digitalisation de l’administration afin de simplifier l’accès aux autorisations et de faciliter la formalisation des activités, l’inclusion financière destinée à renforcer l’usage des paiements électroniques, les politiques fiscales et sociales visant à sécuriser les travailleurs et à prévenir la précarité, ainsi que l’évolution des régulations sectorielles pour intégrer les plateformes tout en assurant une concurrence équitable et la protection des usagers. 

Sans une telle cohérence, les initiatives isolées risquent de rester fragmentées et peu efficaces, compromettant la capacité de l’«ubérisation» à contribuer à l’emploi, à l’innovation et à la modernisation économique. Le secteur du transport urbain en fournit une illustration parlante : le système marocain des «agréments», conçu pour encadrer l’offre et redistribuer les autorisations, s’est progressivement transformé en mécanisme de rente qui fragilise les conducteurs. L’arrivée des plateformes numériques a mis en évidence ces limites puisqu’elles répondent à une demande croissante de mobilité flexible et sécurisée tout en se heurtant à un cadre réglementaire rigide. Une régulation modernisée, cohérente avec les réformes numériques, financières et sociales, pourrait convertir ces tensions en opportunités, améliorer la mobilité urbaine, sécuriser les travailleurs et favoriser la professionnalisation du secteur.

Pour que l’«ubérisation» devienne un véritable moteur de croissance et d’innovation, il est indispensable d’adopter une politique multisectorielle intégrée, fondée sur un cadre stratégique harmonisant les régulations sectorielles, la protection sociale et les incitations à l’innovation locale. En reliant cette stratégie aux réformes transversales en matière de digitalisation administrative, d’inclusion financière, de fiscalité et de formation, le Maroc serait en mesure de transformer l’«ubérisation» en un levier puissant de modernisation économique, de croissance inclusive et de compétitivité internationale, tout en renforçant la cohérence et l’efficacité de l’action publique.

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