L’arrivée des premiers S57 en Algérie a relancé le marronnier de la rivalité autour de la cinquième génération. Un faux débat ? Décryptage.
Ce débat sur la suprématie aérienne prend d’autant plus d’ampleur que l’Algérie accède à des avions de cinquième génération. La Russie a livré à l’armée de l’air algérienne deux premiers chasseurs Su-57 Felon suite à une commande passée en 2021.
Le contrat porte sur une douzaine d’appareils dont la première tranche devrait être livrée en 2026 avant d’honorer le reste du contrat une année plus tard.
L’arrivée des nouveaux chasseurs russes en Algérie fait couler beaucoup d’encre concernant le rapport de force au Maghreb.
D’aucuns parlent de nouvelle configuration de l’équilibre stratégique, d’autres de nouvelle rupture. Au-delà des grandes phrases, de quoi parle-t-on au juste ?
Derrière cette fiche technique “glorieuse” se cache une réalité moins reluisante. L’appareil n’est pas si redoutable qu’on le croit, au point que le fait de le classer dans la cinquième génération serait prétentieux eu égard à son état actuel qui, selon les experts, reste embryonnaire. “Les retours d’’expérience qu’on a aujourd’hui montrent que l’avion est immature”, explique Xavier Tytelman, spécialiste de l’aviation militaire dans une interview accordée à «L’Opinion».
Selon notre interlocuteur, le Su-57 n’a pas été au niveau espéré par rapport aux modèles concurrents, avec une avionique dépassée, un moteur d’une génération précédente et des capteurs peu développés. Pour cette raison, le chasseur russe n’est pas si furtif qu’on le dise. Sa furtivité est loin d’être acquise, la faiblesse de sa signature radar (détectabilité) est son principal défaut. En revanche, sa malléabilité est prouvée.
“Les Indiens ont décidé de l’abandonner car il n’était pas au niveau attendu”, précise Xavier Tytelman à cet égard, rappelant que l’Algérie est le seul pays à avoir acheté le chasseur russe. “L’Algérie est l’un des rares pays à acheter tout et n’importe quoi”, se gausse l’ancien pilote, qui trouve étrange le tropisme russe des Algériens.
Client inconditionnel de l’industrie russe, l’armée algérienne y reste acoquinée à Moscou, sachant que son aviation est exclusivement russe, contrairement à d’autres clients assidus, comme l’Inde qui, tout en étant proche des Russes, se sont tournés vers le Rafale.
D’autres facteurs plaident contre le Su-57. En plus de sa furtivité contestée, il n’a pas encore fait ses preuves sur le plan opérationnel, avec un déploiement esthétique en Syrie en 2018 et une piètre performance en Ukraine où il aurait été mis à rude épreuve. Kiev en aurait même abattu un en 2024.
“Si l’aviation russe était efficace, ça se saurait en Ukraine”, insiste le général Michel Yakovleff, ancien vice-chef d’état-major du Shape de l’OTAN qui connaît si bien les subtilités du front russo-ukrainien.
Selon lui, l’aviation russe a montré ses limites et sa fragilité face à la défense anti-aérienne au point d’être incapable de survoler le ciel ukrainien. En fait, les Russes en sont venus à tirer à partir de leur ciel en usant souvent de bombes planantes pour atteindre leurs cibles. En tout cas, l’emploi des Su-57 n’a rien changé alors qu’ils sont censés assurer la maîtrise du ciel, comme l’ont fait les F-35 israéliens en Iran.
Comme nous l’avons déjà dit sur nos colonnes, le choix du F-35 serait irréaliste pour l’instant. L’aigle américain coûte très cher en termes d’heure de vol (42.000 dollars contre 25.000 pour le F-16), d’exploitation et de maintenance qui augmente d’année en année.
A cela s’ajoute le problème de la souveraineté qui, en réalité, n’est pas spécifique au F-35 et au matériel américain en général, puisque Washington se réserve le droit de clouer tout appareil au sol si son usage ne convient pas à ses intérêts stratégiques.
Raison pour laquelle ce sont les Américains qui décident par exemple si l’Ukraine peut frapper le sol russe ou si Israël peut ou non s’aventurer dans le ciel iranien.
En gros, le joyau de Lockheed Martin est certes ce qu’il y a de meilleur sur le marché actuellement mais demeure trop coûteux et trop sophistiqué pour un pays comme le Maroc qui continue de mettre le paquet dans le F-16 qui semble satisfaire les hauts gradés, d’autant plus qu’il s’est montré efficace pendant la guerre indo-pakistanaise.
Pour toutes ces raisons, les Forces Royales Air s’apprêtent à recevoir la nouvelle version (Viper) dont elles ont commandé 25 nouveaux exemplaires. Concernant le Rafale, souvent cité comme éventuel futur choix, rien ne confirme cette hypothèse même si le Maroc voulait l’acheter en 2006 avant d’opter pour le F-16.
Là, on parle toujours de l’avant-garde. Mais, l’enjeu quantitatif pèse dans cette équation de suprématie régionale, d’autant plus que le Maroc est confronté au risque de vieillissement de sa flotte en cas d’obsolescence du Mirage F1 et du F5. Après que la cession des Mirages 2000 émiratis a fait pschitt, les alternatifs restent difficiles à identifier. On parle des F-18, F-22, Gripen… Quoiqu’il en soit, la particularité du Maroc est sa capacité à choisir le best-of sans se limiter à un seul fournisseur, conclut Xavier Tytelman
On parle souvent du F-35 comme le top des avions de cinquième génération. Qu’en pensez-vous ?
Le Rafale connaît un succès commercial croissant ces dernières années. Le Gripen suédois suscite aussi beaucoup d’intérêt. Pourquoi à votre avis ?
Comment analysez-vous cette course algérienne vers l’armement ? – Le choix du Su-57 est destiné à modifier les équilibres régionaux sur le papier. Le Maroc, comme tous les pays, veille à ne pas rester en dessous du niveau technologique dans cette course à l’armement à laquelle se livre l’Algérie, qui est à 25 milliards de dollars de dépenses. Un budget invraisemblable. L’avantage du Maroc est qu’il a plus de choix en termes d’armement, vu ses nombreux partenaires, ce qui lui permet d’accéder plus facilement que l’Algérie à ce qu’il y a de meilleur sur le marché. On l’a vu avec les drones turcs, les canons Caesar, les chars chinois, les batteries américaines, le tout avec un savoir-faire local qui se développe, contrairement à l’Algérie qui mène clairement une guerre hybride à l’aide de cyberattaques et de proxy.
On parle souvent du Rafale comme d’un choix meilleur que le F-35 ou le F-16. En quoi serait-il plus pertinent ? – Il s’est avéré que la nouvelle version du F-16 est moins bonne dans les compétitions et plus chère à l’exploitation que le Rafale. Aux Pays-Bas, le Rafale s’est imposé sur la base de 700 critères d’évaluation technique. Mais, les contrats d’avions sont plus politiques. L’Europe reste sous pression américaine pour acheter les F-35. Le Maroc, aussi pour des raisons liées à son partenariat stratégique avec les Etats-Unis, penche plus vers la technologie américaine. Le F-16 coûte le même prix que le Rafale mais reste plus cher à l’exploitation, surtout en termes de coût par heure de vol. L’avantage du Rafale est qu’il a une feuille de route claire de développement, d’autant plus qu’il a gagné les compétitions auxquelles il a participé. Les Indiens en ont été très satisfaits dans leur confrontation avec le Pakistan, en dépit de la propagande qui s’est déchaînée quand un des avions indiens a été abattu. C’était plus un problème de renseignement que de qualité.
