Paris – L’écrivaine et universitaire Naïma Lahbil Tagemouati a présenté, vendredi soir à Paris, son dernier livre « Qui est Si Bekkaï » (Editions Marsam), un récit historique relatant la vie de son père, Si Bekkai Ben M’barek Lahbil, qui fut le premier chef de gouvernement du Maroc indépendant.
Après une première séance de dédicaces au sein du pavillon du Maroc, invité d’honneur du Festival du livre de Paris, l’auteure a prolongé ses échanges autour de ce personnage réel mais dont la vie s’apparente à celle d’un héros de roman, au-delà de l’enceinte du Grand Palais de la capitale française où se tient jusqu’à dimanche ce grand rendez-vous de la littérature, lors d’une rencontre organisée à l’initiative de la Fondation Maison du Maroc dans le cadre de ses rendez-vous culturels.
Intervenant à cette rencontre, modérée par l’universitaire Mohamed Mraizika, Naïma Lahbil Tagemouati est revenue sur les différentes étapes marquant le parcours impressionnant de son père, ce natif de Berkane en 1907 devenu en 1955 le Président du Conseil du premier gouvernement du Maroc indépendant, qui a signé, à ce titre, en 1956 les deux traités actant la libération du pays de l’occupation française et espagnole.
Pour l’écrivaine, le Maroc a choisi cet homme « patriote », connu pour son discours « nuancé » et d’« ouverture », pour le représenter pour la signature des Traités de l’Indépendance à Paris le 2 mars 1956 et le 7 avril avec Madrid.
Depuis Paris où il s’était consacré dans les années 50 à temps plein à se battre pour l’Indépendance du Maroc, il s’était imposé comme « interlocuteur majeur », fort d’ « un carnet d’adresses incroyable avec des entrées dans les finances, la politique, la communication… », a-t-elle dit sur la base de témoignages documentant cette période.
« Si Bekkaï connaissait la France de l’intérieur, d’où l’intérêt d’apprendre les langues et rentrer dans les cultures des autres », a-t-elle expliqué en référence notamment à sa formation à l’école française.
Outre sa maitrise de la langue de Molière, elle a cité aussi l’apport précieux de son expérience d’ancien militaire de l’armée française qui a conforté ce choix, tandis que Si Bekkaï revendiquait « publiquement et inlassablement », à la fois, sa « fraternité » pour la France et sa loyauté pour le Maroc.
Formé au M’sid jusqu’à l’âge de treize ans, il sera scolarisé à « l’école des notables » de Berkane à partir de 1920, puis à l’école militaire de Meknès (Dar El Beida) entre 1926 et 1928. Il en sortira avec le grade de sous-lieutenant.
Officier de la cavalerie, il ira combattre aux côtés des Français et Marocains pour repousser les nazis en 1940. Capturé, emprisonné par les Allemands, il sera amputé d’une jambe, avant de basculer vers la vie civile et devenir caïd de B’ni Drar (1942- 1944), puis pacha de Sefrou (1944- 1953).
Dans les années cinquante, il troque son sabre et son fusil de spahi pour une autre bataille: contre le colonialisme et pour le retour du Sultan exilé.
Celui qui avouait alors ne pas avoir pleuré quand il était emprisonné par les Allemands ni quand on lui avait amputé sa jambe, avait pleuré en apprenant le 20 août 1953 la nouvelle de l’exil forcé du Sultan Mohammed Ben Youssef, « le père de la Nation », rapporte sa fille. Elle fait le rapprochement à cet égard avec un précédent drame vécu par Si Bekkaï quand il avait vu à l’âge de 7 ans son père, un chef de tribu notoire de Béni Snassen qui combattait l’occupation française, disparaitre à jamais sous ses yeux après avoir assisté à son enlèvement sans rien pouvoir faire.
A travers son livre, réalisé dans une langue simple et une démarche didactique, l’auteure souhaite ainsi voir partager entre les jeunes et leurs aînés la contribution de son père à l’histoire du 20-ème siècle.
« Ce livre a été écrit pour faire connaître l’histoire du Maroc, à travers des personnages clés dont Si Bekkaï fait partie», a-t-elle indiqué, précisant qu’il sera suivi d’autres volumes consacrés à d’autres « héros positifs de notre histoire pour les faire découvrir aux jeunes de manière ludique ».
Elle a fait remarquer à cet égard qu’une association de jeunes marocains qui font des romans graphiques et de la bande dessinée « ont réalisé un travail remarquable en explorant ce livre pour faire sortir une BD ».
« J’ai travaillé avec eux le synopsis et la BD sort dans deux semaines », a-t-elle annoncé.
La présentation du livre a été suivie d’une séance de dédicaces et d’un échange avec l’audience sur les différents aspects du parcours de Si Bekkaï, y compris les dimensions romanesque et symbolique ou encore sa vie privée, bien que peu abordée par sa fille dans cette œuvre, l’écrivaine ayant préféré garder « une distance ».
« A part un passage où je dis que je suis sa fille, j’ai essayé de garder une distance, parce que je voulais parler très peu de sa vie privée que j’évoque juste quand elle est en lien avec son parcours et ses actions politiques », a-t-elle expliqué dans une déclaration à la MAP.
Et d’ajouter que « j’ai voulu en faire vraiment un récit historique parce que je l’ai fait pour les jeunes et les moins jeunes. C’est intéressant pour les Marocains de savoir que l’indépendance du Maroc a été le fait de plusieurs acteurs qui avaient des positions quelque fois un peu atypiques, comme c’est le cas de Si Bekkaï ».
Au sujet de sa participation au Festival du livre de Paris qui met le Maroc à l’honneur cette année, l’auteure estime que son œuvre a « toute sa place au festival parce que Si Bekkaï était quelqu’un qui tenait vraiment beaucoup à cette amitié franco-marocaine ».
Elle a tenu à remercier à cet égard l’institut français qui a permis la publication de la version française et le ministère de la Culture marocain pour la version arabe.
« Sorti d’abord en français, il a été traduit très rapidement en arabe et j’espère qu’il le sera bientôt en amazigh puisque Si Bekkai était amazigh », a-t-elle conclu.
Professeur d’économie à l’université de Fès de 1980 à 2006, puis directrice de la Fondation « Esprit de Fès » et du Festival des Musiques Sacrées du Monde de 2006 à 2007, Naima Lahbil Tagemouati travaille sur la dimension économique et sociale de la culture et du patrimoine.
Elle est membre du Conseil d’administration du Fonds International pour la Promotion de la Culture à l’UNESCO depuis 2018 et préside l’association Culturelle Américaine depuis 2016.
Naïma Lahbil Tagemouati est aussi l’auteure de plusieurs essais et romans dont les plus connus, “Un homme debout” (2017), “La liste” (2013) et “Dialogue en médina” (2001), publiés aux éditions “Le Fennec”.
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