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lundi, décembre 8, 2025

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Interview avec Meryem Benm’Barek et Nadia Kounda : «Derrière les palmiers» montre à quel point l’amour est politique

À travers « Derrière les palmiers », Meryem Benm’Barek et Nadia Kounda explorent les forces invisibles qui traversent nos désirs et nos élans amoureux, mêlant intimité et enjeux sociaux. Entre fidélité artistique et immersion dans la réalité de jeunes femmes marocaines, la réalisatrice et son actrice principale donnent à voir une fresque romanesque où chaque choix, chaque passion, résonne avec des vérités universelles. Interview croisée.

Votre détermination à préserver l’intégrité artistique du film a été centrale. Y a-t-il eu un moment où vous avez senti que cette exigence risquait de compromettre la production, ou au contraire a-t-elle renforcé votre relation avec vos collaborateurs ?
Meryem Benm’Barek : il m’a fallu sept ans pour mener « Derrière les palmiers » à bout. Après une année entière consacrée à l’accompagnement de Sofia en tournée, il a fallu reprendre l’écriture, puis affronter la parenthèse du Covid qui a ralenti chaque étape. Mais la partie la plus longue – et sans doute la plus déterminante – a été de trouver les bons producteurs. Pour un film aussi délicat, il est essentiel d’être entourée par des personnes capables d’en saisir toute la complexité. Mal accompagnée, une œuvre peut facilement se dénaturer.

Pour moi, faire des films n’est pas un travail : c’est l’axe autour duquel ma vie s’articule, avec ma famille. Je ne peux ni accélérer ni bâcler. J’assume que ce film m’ait pris sept ans, parce que j’ai défendu mes convictions artistiques et politiques jusqu’au bout. J’ai réalisé exactement le film que je voulais, en totale fidélité à ma vision. Cette exigence a un prix : celui du temps.
  Les rencontres avec de jeunes mères ont manifestement nourri votre interprétation. Comment avez-vous géré la charge émotionnelle qu’elles ont fait naître en vous, une fois sur le plateau ?
Nadia Kounda : travailler avec Meryem, c’est un peu comme collaborer avec une sœur ou une amie proche. Elle déborde d’énergie, d’humour, de légèreté, tout en étant extrêmement précise et parfaitement préparée. Elle sait où elle va, elle s’entoure bien, et ça se ressent sur un plateau.

Quand j’ai découvert le scénario, j’ai immédiatement compris qu’il touchait à l’histoire réelle de nombreuses jeunes femmes marocaines. Pour interpréter Selma, je suis allée à Tanger rencontrer l’association 100% Mamans. Elles m’ont ouvert leurs portes et présenté des jeunes mères, parfois adolescentes, parfois plus âgées, célibataires et souvent fragilisées. Nous avons parlé de sexualité, d’amour, de solitude, de ces moments où l’on doit faire face une fois que « le fait est accompli ».

Ces échanges m’ont bouleversée. Elles m’ont confié leur urgence, leur colère, mais aussi leur tendresse. Elles m’ont demandé de porter leur voix. Alors je me suis investie corps et âme dans ce personnage ; je leur devais cette sincérité.
  Votre film explore la manière dont le désir et les sentiments se construisent au croisement de l’intime et du politique. Comment cette idée est-elle devenue le moteur narratif de « Derrière les palmiers » ?
Meryem Benm’Barek : les questions de pouvoir et de domination ont toujours été au cœur de ma réflexion, et j’avais envie cette fois d’en faire le terreau d’un récit plus romanesque. J’ai appris, parfois douloureusement, que l’amour transforme notre manière de regarder le monde. Chacune de nos expériences amoureuses déplace quelque chose en nous, réoriente notre perception, révèle des zones que l’on ignorait.

En travaillant sur le film, j’ai compris à quel point l’amour est politique. Ce qui façonne notre désir ne naît jamais seulement de nous : il est traversé par des forces invisibles – sociales, culturelles, structurelles – qui nous dépassent et orientent nos choix, même les plus intimes. « Derrière les palmiers » raconte précisément cela : comment nos élans amoureux sont déterminés par des héritages et des tensions qui viennent de loin, et qui agissent sur nous sans même que nous en ayons conscience.

Ce récit mêle passion, rupture et contradictions personnelles. Comment avez-vous puisé dans vos propres souvenirs amoureux pour nourrir la vérité émotionnelle de votre interprétation ?
Nadia Kounda : le film repose sur un territoire que nous connaissons tous : l’amour, la trahison, la confusion de nos premières passions. Lorsque le personnage de Mehdi abandonne la jeune femme qu’il aime, cela réveille des émotions très universelles. Nous avons tous traversé ces premiers chocs affectifs où l’on se découvre vulnérable, contradictoire, parfois déchiré entre ce que l’on veut et ce que l’on est capable d’assumer.

C’est ce qui m’a profondément touchée : ce mélange de candeur, de douleur et de contradictions que chacun porte en lui. Cette charge émotionnelle, je l’ai intégrée au personnage, tout en veillant à préserver ce que le film doit révéler au spectateur. Certains éléments doivent rester cachés pour que leur impact soit intact une fois à l’écran.
  Vous dites avoir pensé à Nadia Kounda dès les premières phases d’écriture. Comment ce lien intuitif entre une actrice et un personnage s’impose-t-il à vous durant la création ?
Meryem Benm’Barek : j’ai rencontré Nadia lors des castings de « Sofia ». Elle faisait partie des deux finalistes et, même si elle n’avait pas été retenue à l’époque, son énergie et sa présence m’avaient profondément marquée. Depuis longtemps, j’avais le désir de collaborer avec elle ; c’est une actrice dont j’admire la sensibilité et la justesse.
Lorsque j’ai commencé à écrire « Derrière les palmiers », son visage, sa manière d’habiter un rôle revenaient régulièrement. Plus j’avançais dans l’écriture, plus il devenait évident qu’elle portait en elle la force et la vulnérabilité que je cherchais pour Selma. Je lui ai proposé le rôle presque naturellement, même si elle a tout de même passé une audition. Mais l’évidence était déjà là.

Elle avait déjà tourné avec Driss dans un court-métrage, et leur complicité à l’écran m’avait convaincue : quelque chose circulait entre eux, une vérité que l’on ne peut pas fabriquer. Quant à Sara Giraudeau, son mélange de distinction et de fragilité incarnait exactement la bourgeoisie complexe que je voulais montrer. Le casting s’est donc construit autour de ces évidences humaines et cinématographiques.
  Vous évoquez une approche très instinctive dans le choix de vos rôles. Quels critères déterminent l’instant où un personnage devient suffisamment “vrai” pour que vous acceptiez de le porter ?
Nadia Kounda : quand je choisis un rôle, tout part de la sensibilité de l’auteur et de l’écriture. Je me demande d’abord si je m’attache au personnage, si j’ai envie de raconter son histoire et si je reconnais une sincérité dans la manière dont elle est construite. Il y a aussi des éléments très concrets : la production, la vision du réalisateur, la cohérence artistique du projet.

Je ne sélectionne pas mes rôles pour « porter une voix » ou délivrer un message militant. Cela se fait naturellement, parce que beaucoup de personnages féminins qui me sont proposés questionnent la condition des femmes, l’émancipation, les contradictions sociales. Si un film ouvre un débat, interroge, bouscule, et qu’il est bien écrit, alors je fonce.

Mais je reste une comédienne avant tout : j’ai aussi envie de m’amuser, d’explorer d’autres genres, de me surprendre. Une comédie romantique, une comédie musicale, un film d’action… pourquoi pas ? Ce qui compte, c’est de jouer, de me dépasser, de m’éclater sur un plateau. Et si, en plus, un rôle permet de dire quelque chose sur les femmes d’aujourd’hui, je le fais avec plaisir.

Dans vos propos respectifs, vous évoquez toutes deux la manière dont les trajectoires féminines, leurs contradictions et leurs élans amoureux nourrissent le cœur du film. Comment cette dimension humaine s’est-elle imposée dans votre travail, devant et derrière la caméra ?
Meryem Benm’Barek : pour moi, il était essentiel de rendre visibles ces femmes que l’on réduit trop souvent à des catégories sociales – « mères célibataires », « femmes en marge » – alors que leurs parcours sont faits de nuances, de choix, d’élans amoureux parfois contrariés. Elles ne sont pas un sujet sociologique, ce sont des existences à part entière.

Même si ce n’est pas le thème central du film, cette réalité affleure dans Selma : une jeune femme qui, sans être une mère célibataire, pourrait l’être tant son histoire est traversée par ce tiraillement entre la raison et le désir. Nadia a pris le temps d’aller à la rencontre de femmes confrontées à ces contradictions, non pas pour imiter leurs vies mais pour saisir la profondeur de leurs dilemmes. Ce sont ces fissures, ces passions contrariées, qui nous intéressaient : la zone où la vie intime se heurte à la norme sociale.

Nadia Kounda : ce que raconte le film, c’est aussi notre génération, nos histoires d’amour faites d’interdits, de frontières invisibles et de choix impossibles. C’est un récit qui touche à quelque chose de très intime, presque universel : la manière dont on aime malgré les barrières.

Je souhaiterais simplement inviter le public à regarder le film comme on se laisse porter par une histoire d’amour. Meryem et moi, on a grandi en regardant Titanic ou Dirty Dancing, des films où l’émotion est frontale, où l’on se laisse envahir. « Derrière les palmiers » peut être vu de la même manière : un récit porté par deux personnages pris dans un dilemme amoureux. Mehdi, en particulier, incarne ce conflit intérieur entre ce que dicte le cœur et ce qu’impose la société.
Alors j’aimerais que le spectateur se laisse aller, sans résistance, comme on se plonge dans un film qu’on aime déjà.

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