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mercredi, décembre 24, 2025

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Interview avec Dr Guila Clara Kessous : « L’inscription du caftan marocain à l’UNESCO est un moment de justice culturelle »

Entre héritage intime et rayonnement mondial, le caftan marocain s’impose désormais comme une « mémoire vivante » à l’UNESCO. Le Dr Guila Clara Kessous, Artiste de l’UNESCO pour la Paix, revient sur cette reconnaissance qui célèbre le génie des « mains de l’ombre ».

– L’inscription du caftan marocain au patrimoine immatériel de l’UNESCO est un moment historique. Que représente pour vous cet événement ? Est-ce, selon vous, l’aboutissement d’une reconnaissance pour les artisans ou le début d’une nouvelle ère de protection ?

-En tant qu’Artiste de l’UNESCO pour la Paix, et aussi en tant que fille d’un père d’origine marocaine, né à Meknès, cette inscription du caftan marocain au patrimoine culturel immatériel de l’humanité revêt pour moi une portée profondément intime, symbolique et universelle. C’est un moment historique, oui, mais surtout un moment de justice culturelle. Le caftan marocain n’est pas seulement un vêtement d’apparat, il est un langage, une mémoire vivante, un héritage transmis de génération en génération. Il porte en lui les gestes des artisans, la patience des brodeuses, l’excellence des maîtres tailleurs, et l’âme plurielle du Maroc. En ce sens, je rejoins pleinement les mots justes et puissants de Son Excellence Monsieur Samir Addahre, Ambassadeur et Délégué permanent du Maroc auprès de l’UNESCO, qui définit le caftan comme « un marqueur fondamental de l’identité culturelle marocaine » et qui rappelle qu’il incarne « l’Histoire d’un patrimoine vestimentaire ancestral de la nation ». Son travail remarquable, précis et engagé a été déterminant pour faire entendre cette vérité au niveau international. Pour moi, cette inscription est à la fois un aboutissement et un commencement. Un aboutissement, car elle consacre enfin la reconnaissance mondiale du génie des artisans marocains, trop souvent invisibilisés, alors qu’ils sont les gardiens d’un savoir-faire exceptionnel. Mais c’est surtout le début d’une nouvelle ère de protection, de transmission et de responsabilité. L’UNESCO ne fige pas les cultures, elle les protège pour qu’elles continuent à vivre, à se renouveler, à inspirer. Le caftan marocain raconte l’Histoire d’un pays où les cultures dialoguent, où l’élégance est un acte de mémoire, et où la beauté est indissociable du sens. En tant que femme de paix, de culture et de transmission, je vois dans cette reconnaissance un message fort : préserver le patrimoine, c’est aussi préserver la dignité des peuples, leur créativité et leur voix. Et pour moi, c’est aussi une manière de rendre hommage à ces racines marocaines et à cette richesse culturelle que le Maroc offre au monde.

– Au-delà du prestige, comment cette labellisation peut- elle soutenir l’économie créative marocaine et protéger le patrimoine contre l’appropriation culturelle ?



Au-delà du prestige symbolique, la labellisation du caftan marocain au patrimoine culturel immatériel de l’humanité peut devenir un levier stratégique majeur pour l’économie créative marocaine et un rempart essentiel contre l’appropriation culturelle. Elle permet d’abord de reconnaître, de structurer et de protéger des chaînes de valeur entières, fondées sur des savoir-faire artisanaux d’exception, souvent transmis par des femmes, mais longtemps restés invisibles ou sous-valorisés, en particulier dans les territoires ruraux. Cette invisibilisation du travail des femmes renvoie directement à ce que la Prix Nobel d’Economie Claudia Goldin, avec qui j’ai collaboré à l’Université de Harvard, théorise sous le terme de « Femina Economicus » : une économie qui repose largement sur le travail féminin, tout en le minorant, en le maintenant dans l’informel ou en le rendant invisible. Or, dans l’univers du caftan marocain – broderie, tissage, coupe, ornementation – les femmes constituent l’épine dorsale de la création de valeur, notamment dans le monde rural, où ces savoir-faire sont à la fois un héritage culturel et un moyen de subsistance. Dans mes travaux et recherches, j’ai pu échanger avec des experts engagés sur ces enjeux. À cet égard, Mme Amina Oufroukhi, Cheffe du pôle spécialisé au Ministère public, m’a confié combien la reconnaissance du travail des femmes, en particulier en milieu rural, est essentielle pour leur protection, leur autonomie économique et leur dignité. Elle souligne que sans visibilité juridique, économique et sociale de ce travail, aucune égalité réelle ne peut être atteinte, même lorsque les femmes sont au cœur de l’activité productive. La reconnaissance du caftan par l’UNESCO participe précisément de cette visibilité. Elle permet de transformer un savoir-faire longtemps cantonné à la sphère domestique ou informelle en un patrimoine reconnu, mesurable et protégé. Elle ouvre la voie à une meilleure structuration du secteur, à une juste rémunération, à une protection sociale accrue et à une transmission durable de ces métiers, souvent assurée par des femmes. Cette dynamique s’inscrit pleinement dans le contexte plus large des réformes engagées au Maroc, notamment la révision de la Moudawana, qui marque une avancée significative vers plus d’égalité juridique et symbolique. Elle traduit un Maroc contemporain qui se penche enfin sur la femme comme personne physique et morale à part entière, aspirant à sortir d’un modèle de tutelle patriarcale hérité du passé. Si des résistances subsistent, le mouvement est irréversiblement engagé. Dans ce cadre, la labellisation du caftan agit comme un acte à la fois culturel, économique et politique. Elle protège le patrimoine contre la décontextualisation et l’appropriation culturelle, tout en affirmant une paternité culturelle claire. Elle offre surtout aux artisanes et artisans marocains les moyens de s’inscrire dans des circuits internationaux plus justes et plus équitables. Protéger le caftan, c’est donc protéger une mémoire vivante, une économie créative et une dignité collective : faire du patrimoine un outil d’émancipation, de souveraineté culturelle et de justice sociale.

– Le caftan est le fruit du travail de brodeuses, de tisseurs et de maîtres artisans (Maâlems). Quel message souhaitez-vous adresser à ces mains de l’ombre qui perpétuent ce savoir-faire ?

– Le message que je souhaite adresser aux brodeuses, aux tisseurs, aux maîtres artisans – les Maâlems – est avant tout un message de reconnaissance, de gratitude et de dignité. Vous êtes les mains de l’ombre, mais vous êtes surtout la lumière silencieuse de ce patrimoine vivant. Chaque point brodé, chaque fil tissé, chaque geste répété avec patience est un acte de mémoire, de résistance et de transmission. Le caftan n’existe pas sans vous. Il est le fruit de vos savoirs, de vos corps au travail, de vos regards attentifs, de vos histoires intimes. Vous êtes les véritables auteurs de cette œuvre collective qu’est le patrimoine marocain. À ces mains de l’ombre, je veux dire : votre travail est essentiel, votre savoir est précieux, votre rôle est de « faire tenir ensemble ». En perpétuant le caftan, vous ne transmettez pas seulement un vêtement, vous transmettez une vision du monde où la diversité est une richesse, où la patience est une force, et où la beauté est un acte de dignité. Vous êtes les gardiens d’une mémoire vivante et les artisans d’un avenir de paix.

– En tant qu’Artiste de l’UNESCO pour la Paix, comment voyez-vous le vêtement comme un outil de soft power et de dialogue entre les cultures ?

– Je considère le vêtement comme un langage universel, un outil essentiel de ce que j’appelle l’ « entrepreneuriat diplomatique », au croisement de la diplomatie culturelle, artistique et humaine. Le vêtement parle avant même que l’on prenne la parole : il raconte une histoire, affirme une identité, crée un pont entre les cultures. Dans les espaces diplomatiques et internationaux, l’habit devient un manifeste silencieux. Il peut porter des valeurs, susciter des conversations, éveiller des consciences. J’en ai fait l’expérience lors de la remise du Prix Woman of the Decade que j’ai reçu des mains de la Première Dame d’Italie, Laura Mattarella, en octobre dernier à Palerme, dans le cadre du Women Economic Forum. Pour cette occasion, j’ai eu l’honneur de porter la mythique Peace Dress du créateur Valentino, dont nous célébrons cette année les 35 ans. Cette robe est née comme un cri pour la paix lors de la Guerre du Golfe ; elle porte, brodés en sequins d’or, le mot « Paix » en quatorze langues. Ce jour-là, le vêtement est devenu un discours diplomatique à part entière, un message universel sans frontières. D’autres créateurs engagés m’accompagnent dans cette démarche, comme Lena Erziak, dont le travail crée un pont culturel fort entre la France et le Maroc. Elle m’a accompagnée pour des couvertures internationales telles que Glamour, L’Officiel Monaco ou encore Rolling Stone. J’ai également porté un costume bleu roi orné de colombes lors de ma dernière prise de parole à l’ONU pour présenter une Résolution lors des PeaceTalks pour proposer un quota de 30% de femmes aux tables de négociations diplomatiques. Ces collaborations montrent que la création vestimentaire peut être un espace de dialogue, de respect mutuel et de mise en valeur des identités culturelles. Ce qui explique mon choix spécifique de tenues vestimentaires entre ma carrière de coach exécutive auprès des entreprises qui diffère de l’image que je véhicule en tant qu’Artiste de l’UNESCO pour la Paix au niveau diplomatique, artistique ou humanitaire. Lorsqu’il est pensé et porté consciemment, le vêtement devient un outil puissant de soft power, capable de rapprocher les peuples, de valoriser la diversité et de rappeler que la beauté peut être un acte de paix. Pour moi, c’est cela l’ « entrepreneuriat diplomatique » : transformer l’esthétique en éthique, et faire du style un vecteur de sens et d’humanité.

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