“Macron a-t-il mis des vies en danger ?” s’interroge la Frankfürter Allgemeine Zeitung. Alors que la France entre dans sa troisième semaine de confinement, les interrogations et “les critiques vis-à-vis de la gestion de crise du gouvernement français se répandent aussi vite que le Covid-19”, ajoute ABC.

Et si, lors d’une conférence de presse ce samedi 28 mars, Édouard Philippe a assuré qu’il “ne [laisserait] personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement”, les doutes persistent. Dans la presse étrangère, plusieurs arguments en ressortent.

Une menace minimisée

Tout d’abord, le maintien du premier tour des municipales, le 15 mars dernier. Dans les colonnes de Der Standard, une médecin alsacienne regrette que “la menace ait été trop longtemps minimisée” : le confinement, selon elle, aurait dû être décrété plus tôt. Les “consignes” ont en outre été “contradictoires”, souligne Le Temps, entre une sortie au théâtre du président censée servir d’exemple puis la fermeture des écoles ; un scrutin municipal puis le confinement. De ce fait, la “défiance envers le pouvoir exécutif” n’a fait que “croître”.

D’autant que, d’un point de vue pragmatique, ajoute la praticienne interrogée par Der Standard, les masques qui ont été utilisés pour ce scrutin (dont le second tour n’a toujours pas de date officielle) auraient pu servir aux personnels soignants qui aujourd’hui en subissent le manque.

L’échec de l’État ?

Mais même ces masques n’ont pas suffi à protéger tous les assesseurs mobilisés pour le scrutin. Interrogé par la Frankfürter Allgemeine Zeitung, Pierre-Jean Birken, qui a tenu le bureau de vote de Saint-Fons, près de Lyon, ne cache pas son amertume. Lui et six autres personnes ont contracté le Covid-19, vraisemblablement pendant les élections. “Je suis en colère contre notre président qui n’a pas eu le courage ou la présence d’esprit d’annuler le scrutin”, s’insurge-t-il, alors que, comme rappelle le journal allemand, l’exécutif avait assuré qu’il n’y avait pas de danger.

Le collectif C19, constitué de plus de 600 soignants, accuse également le gouvernement de négligence. Celui-ci a même déposé plainte contre l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn et contre Édouard Philippe pour “mensonge d’État”. L’exécutif “aurait dû fournir des masques et des tests plus tôt”, explique Die Zeit. En témoignent les propos du docteur Emmanuel Sarrazin, qui explique avoir reçu les premiers patients atteints de Covid-19 le 3 mars. Or, à ce moment-là, “la France n’avait qu’une seule victime à déplorer, et toutes les écoles étaient encore ouvertes”. Le praticien et une dizaine de ses collègues n’ont “pu continuer à travailler que parce qu’un ami mécanicien leur a fourni des masques de garage”. Pour le médecin, cela ne fait aucun doute : “Le gouvernement n’a pas assuré la protection de la population.”

Des propos qui font écho à l’interview d’Agnès Buzyn au Monde, dans laquelle elle affirmait avoir alerté Matignon dès janvier sur l’urgence de la situation et soutenu qu’il aurait mieux valu annuler les municipales. Une polémique qui avait fait l’effet d’une “bombe politique” pour le gouvernement mi-mars.

Un contexte de troubles

Certes, les pénuries et les critiques de la gestion de crise ne concernent pas que la France, concède Die Zeit, mais elles prennent “dans ce pays déjà troublé” une importance particulière. Une “tournure politique explosive”, même. “La population n’est plus prête à faire preuve d’indulgence vis-à-vis du gouvernement”, explique le journal allemand. Après des mois de contestation des “gilets jaunes”, mais aussi de colère des personnels soignants, qui n’ont cessé de dénoncer le manque de moyens dans les hôpitaux, “l’épidémie exige désormais des contestataires un engagement et une solidarité entiers avec les décisions d’un gouvernement qu’ils critiquent depuis des mois”.

Voilà pourquoi “Emmanuel Macron essaie de motiver le personnel de l’hôpital avec des promesses de grande envergure”, juge Die Zeit, évoquant le “plan d’investissement massif” pour l’hôpital qui a été annoncé pour l’après-crise.

Il n’empêche qu’au total six plaintes ont été déposées auprès de la Cour de justice de la République (CJR)et qu’une pétition de soutien a recueilli près de 350 000 signatures en date du 30 mars. Bref, cet épisode judiciaire pourrait être “l’électrochoc qu’attendait le gouvernement pour enfin s’occuper des pénuries de masques et de tests”, juge l’avocat de C19 dans Die Zeit. Mais l’hebdomadaire s’interroge tout de même : “Ne vaudrait-il pas mieux gérer la crise pour le moment et chercher les coupables plus tard ?”