Au Maroc, le sport n’est plus seulement une affaire de passion. Il est devenu un pilier de l’identité nationale, un miroir où se reflètent l’africanité, l’arabité, l’amazighité, l’hébraïté et l’islamité du pays. Sous l’impulsion du roi Mohammed VI, le Royaume a fait du sport l’un des éléments centraux de son récit national, un vecteur de puissance, un outil de son développement et un langage diplomatique à part entière.
Peu de nations ont osé aller aussi loin dans cette démarche en Afrique et ailleurs. Le Maroc l’assume pleinement : le sport, et le football en particulier, n’est plus un simple divertissement. C’est un levier stratégique, un espace où s’écrit la fierté collective et l’avenir du pays. La Coupe d’Afrique des Nations 2025 s’inscrit dans cette logique. Pour Rabat, ce rendez-vous n’est pas qu’une compétition continentale ; c’est un test grandeur nature avant l’autre grand défi : la Coupe du monde 2030.
L’histoire marocaine du football est faite d’émotions partagées et de politique. Déjà sous Hassan II, le déplacement de l’équipe des Forces auxiliaires de Benslimane vers Laâyoune n’avait rien d’anodin : il s’agissait de donner une visibilité nouvelle aux provinces du Sud. Aujourd’hui encore, le ballon rond reste un langage commun, capable de fédérer toutes les Marocaines et tous les Marocains, du café populaire de Casablanca et Nador aux salons de Marrakech, en passant par les Marocains de la diaspora. Or, rares sont les moments d’unité nationale aussi puissants que le Maroc–Portugal à Doha en 2022, ou ceux que promet la prochaine CAN.
Mais le chemin parcouru n’a pas été sans turbulences. Gouvernance défaillante de certaines fédérations, corruption, amateurisme : les dysfonctionnements étaient tels que le premier lanceur d’alerte fut… le souverain lui-même. Son discours aux Assises nationales du sport en 2008, aussi frontal que salutaire, a agi comme une tempête nécessaire, posant les bases d’un nouveau cycle.
Depuis, le Maroc avance avec méthode et assurance. Sur le plan diplomatique, le Royaume affiche une posture assumée, multipliant les gestes forts : reconnaissance américaine et française du Sahara, ouverture de consulats, tensions gérées avec Madrid, Berlin ou Paris, rapprochements avec Pékin et Abou Dhabi. Sur le plan interne, le pays s’est métamorphosé : routes, stades, réseaux ferroviaires, infrastructures touristiques… de grandes entreprises marocaines comme SGTM, TGCC ou LAMALIF placent leur savoir-faire au service de cette vision. Le Maroc entier s’aligne et se rassemble derrière l’objectif sportif pour préparer l’avenir.
La CAN 2025 symbolise cette montée en puissance. En accueillant l’un des plus grands événements du continent, le Maroc ne cherche pas seulement à briller sportivement. Il veut prouver que l’Afrique peut répondre aux critères les plus exigeants pour organiser ces événements internationaux avec excellence, et montrer que le Royaume en est l’un des moteurs. Cette CAN est donc une répétition générale avant le grand révélateur que sera la Coupe du monde 2030, lorsque le Maroc, l’Espagne et le Portugal accueilleront ensemble le monde et la planète football.
Mais derrière la ferveur sportive, une réalité géopolitique s’impose. Le monde est fracturé : ambitions russes et chinoises, activisme turc, crispations identitaires en Europe, drames à Gaza… Dans ce contexte, chaque grande compétition devient un théâtre du pouvoir, une démonstration de puissance. Et Rabat le sait : en 2025 comme en 2030, le ballon rond racontera bien plus qu’un tournoi. Il sera le récit du Maroc que l’on espère, de sa jeunesse et de la place qu’ils occupent sur le continent et dans le monde.
L’aventure continue donc. L’épopée de 2022 a réveillé la fierté nationale ; la CAN 2025 promet d’en raviver la flamme et la Coupe du monde 2030 dira si le Maroc peut transformer la passion en puissance. Car au fond, pour le Royaume, le sport n’est plus une fin en soi, c’est une manière d’écrire, à chaque victoire, un nouveau chapitre de son histoire.
Alexandre Buzenet est consultant spécialisé dans l’analyse concurrentielle, positionné à la croisée de la géopolitique et des enjeux technologiques. Une approche des stratégies d’influence teintée de références littéraires, et une attention constante portée au Royaume.
Jean-Baptiste Guégan est un des spécialistes français de la géopolitique du sport. Consultant spécialisé sur les questions sportives, il s’intéresse aux stratégies de puissance sportive et aux politiques d’influence par le sport en France et ailleurs. Journaliste et conférencier, il est enseignant en histoire, en géographie et géopolitique du sport à Paris dans l’enseignement supérieur. Il intervient à SciencesPo Paris dans le cadre d’un cours sur l’histoire et la géopolitique du sport en Afrique. Rédacteur en chef de la revue La Géographie, il intervient fréquemment dans les médias nationaux et internationaux. Il a été consultant pour France Bleue,Télésud lors de la Coupe du monde au Qatar. ll est l’auteur de plus de 18 livres. Son livre Géopolitique du sport, une autre explication du monde publié en 2017 et réédité en 2022 est un ouvrage de référence.
Mourad EL Bouanani est géographe et analyste en géopolitique (Paris IV Sorbonne). Spécialiste des stratégies de puissance sportive et de soft power au sein des pays du Golfe (Qatar, Émirats) et du Maroc, qu’il étudie depuis près de quatorze ans, il a publié dans de nombreuses revues et médias de référence, parmi lesquels Diplomatie, Orient XXI, Jeune Afrique, le Huffington Post ou encore Le Figaro. Chef de cabinet du premier réseau d’entreprises engagé pour l’égalité des chances en France, il est également maire-adjoint délégué aux finances à Savigny-le-Temple et co-auteur de l’ouvrage Qatar, dominer par le sport.
