Le ministre de la Justice reconnaît la difficulté de faire face aux dérives des réseaux sociaux. Le durcissement du Code pénal suffit-il à venir à bout de la diffamation et de l’atteinte à la vie privée ?
Devant les Conseillers, le ministre a reconnu l’échec du gouvernement à mettre fin au chaos qui règne sur les espaces numériques, où la diffamation, les outrages à l’honneur et la violation de la vie privée règnent en maître.
Lors d’une séance de questions-réponses digne d’une plaidoirie, Ouahbi, fidèle à son franc-parler, a plaidé coupable. Selon lui, il n’y a pas assez de réponses coercitives contre les atteintes à l’honneur et la vie privée sur les réseaux sociaux. “Sans verbiage juridique, j’avoue que nous avons échoué”, a-t-il reconnu, ajoutant que l’arsenal pénal actuel ne suffit pas pour garantir la protection de la vie privée telle que définie dans l’article 24 de la Constitution. La loi suprême est claire : toute personne a droit à la protection de sa vie privée. Il en va de même pour les communications privées qui sont secrètes quelle qu’en soit la forme.
Cette vague est portée particulièrement par des influenceurs et des pseudo-créateurs de contenu qui font de la diffamation un commerce juteux vu les fortunes qu’ils engrangent pendant les lives, les streams et les stories. Comme les “vus” sont grassement payés sur certaines plateformes, les gens sont prêts pour n’importe quelle absurdité et tous les coups sont permis pour divertir un public avide de buzz et de vulgarité.
Lorsqu’il s’est épanché sur ce sujet à l’hémicycle, Ouahbi s’est indigné du fait que personne n’ose plus parler librement dans un café ou dans un endroit public de peur qu’il soit filmé et jeté en pâture sur les réseaux sociaux.
Les arrestations concernent particulièrement des personnes très suivies sur Tiktok, dont le célèbre streamer Ilyas El Malki, qui a été poursuivi pour injure. Aussi, l’affaire de Soukaina Benjelloun est-elle révélatrice. Cette jeune femme qui s’est déchaînée contre son ex-mari sur les réseaux avant d’être interpellée suite à une plainte déposée par ce dernier. Ce qui en dit long sur la dangerosité des usages irrationnels des réseaux où la vie privée est exhibée sans vergogne et les disputes conjugales devenues un objet de consommation publique.
En cours de gestation, la réforme du Code pénal est censée apporter des sanctions plus sévères contre les violations de la vie intime et les outrages à la personne, notamment sur les réseaux sociaux. Jusqu’à présent, les articles 442 et 447 restent des gages de protection contre la diffamation et les violations de la vie privée.
Or, le défi consiste à mieux définir ce que c’est la diffamation pour la dégager du champ de l’exercice de la liberté d’expression. Force est de constater qu’il y a une frontière très ténue entre les deux. Difficile de protéger la vie intime et l’honneur des gens sans empiéter sur la liberté des autres de proférer ce qui leur passe par la tête. Là, Ouahbi a regretté que toutes les dérives des réseaux sociaux se font au nom de la liberté, qui demeure cependant un principe noble.
Les atteintes à la vie privée sont également sanctionnées par l’article 447, en vertu duquel sont telles la diffusion et la distribution de paroles tenues dans un cadre privé sans le consentement de leurs auteur. La loi 31.13 relative au droit d’accès à l’information vient en renfort en ce qui concerne les personnes morales. Le texte est plus centré sur l’usage de l’information et criminalise toute sorte d’atteinte à l’image ou la réputation. Par ailleurs, la réforme devrait-elle se pencher sur les cas des fake-news.
Le nouveau Code pénal tarde à voir le jour car il y a encore, semble-t-il, des divergences sur le fond au sein du gouvernement. Ouahbi y a fait allusion à la deuxième Chambre. La réforme a été annoncée depuis l’arrivée du gouvernement actuel qui, rappelons-le, a retiré la version de son prédécesseur au Parlement. La sortie n’a eu de cesse d’être reportée.
Ce dernier devrait assurer une gestion plus efficiente de ces a aires après sa réforme tant attendue, dans la mesure où il prendra en compte les crimes électroniques commis sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok.
Comment distinguer entre le contenu indécent et les actes répréhensibles?
Actuellement, les paiements pour le contenu sur TikTok se font directement, sans intermédiaire, et sans que les revenus générés par les utilisateurs concernés soient taxés. Que doit-on faire à ce sujet ?
Les peines peuvent être dures en cas d’abus de femmes. Toute injure proférée contre une femme en raison de son sexe est punie d’une amende de 12.000 à 60.000 dirhams, selon l’article 444-1.
Il en est de même pour la diffamation qui est punie d’une amende de 12.000 à 120.000 dirhams lorsqu’elle est proférée à l’égard d’une femme en raison de son sexe.
Les infractions relatives au champ numérique sont prévues dans l’article 447. “Est puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams quiconque procède, sciemment et par tout moyen, y compris les systèmes informatiques, à l’interception, à l’enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de paroles ou d’informations émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs”, dispose la loi.
Est passible de la même peine quiconque procède, sciemment et par tout moyen, à la capture, à l’enregistrement, à la diffusion ou à la distribution de la photographie d’une personne se trouvant dans un lieu privé, sans son consentement.
En plus, la diffusion d’un montage composé sans le consentement de la personne concernée en vue de porter atteinte à sa vie privée ou de la diffamer est punie d’un an à trois ans de prison et d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams.
Le ministre a déjà fait ce reproche aux robes noires lors d’une rencontre avec l’Association barreaux du Maroc. Ouhabi semble exaspéré de voir des avocats défiler devant les caméras pour relater ce qui se passe pendant les audiences, notamment celles qui font le buzz médiatique. Devant les Conseillers, il a estimé que ce genre de pratiques nuit à la présomption d’innocence pour peu que les accusés soient jetés en pâture à la vindicte populaire. “Il n’y a pas de principe plus noble que la présomption d’innocence”, a-t-il plaidé, rappelant que l’Etat a l’obligation de protéger cette présomption jusqu’à la condamnation.
