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mercredi, décembre 24, 2025

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RÉTRO – VERSO : Sefrou 1890 ou la chronique d’une ville submergée

En ces temps marqués par des crues dévastatrices, il est nécessaire de revenir sur la grande inondation de Sefrou, afin d’éclairer le présent à la lumière du passé. Rétrospective.

Au printemps de l’année 1890, alors que les plaines du Haut-Atlas avaient commencé à se parer des premières couleurs après un hiver long et rigoureux, Sefrou n’avait pas encore soupçonné le drame qui l’attendait au tournant. Déjà connue pour son commerce florissant, ses cerisiers abondants et la vitalité de ses marchés, la ville était également traversée par l’Oued Sefrou, un cours d’eau paisible la plupart du temps, mais potentiellement dangereux lorsqu’il s’emplissait d’eaux de fonte et de pluies intenses.

 

Le seize mai 1890, des pluies diluviennes se sont abattues sur les montagnes environnantes après un hiver exceptionnellement froid, entraînant la fonte rapide des neiges. L’oued, désormais alimenté par ce débordement soudain, s’était transformé en un torrent déchaîné. Des troncs, de la terre et des roches charriés par les flots avaient bouché l’unique ouverture prévue à cet effet dans les murailles qui entouraient la ville. Peu à peu, les eaux s’étaient accumulées derrière ces remparts, jusqu’au point de rupture. À l’aube de ce vendredi fatidique, la digue de fortune céda sous la pression, et une vague imposante, portée par la puissance d’un oued en furie, se précipita sur la cité.

 

Dans les minutes qui suivirent, les ruelles étroites et les maisons en pisé se retrouvèrent ensevelies. Les habitants, surpris dans leur quotidien, n’eurent que peu de temps pour réagir. Certains parvinrent à atteindre des terrasses ou des toits, d’autres se jetèrent dans une fuite désespérée vers les hauteurs. Mais comme nous pouvons le lire au travers de moult récits historiques, la violence du courant fut telle qu’elle rebroussa chemin, et de nombreuses habitations, tant du cœur de la médina que des quartiers avoisinants, furent submergées.

 

D’autres témoignages, consignés notamment par des chroniqueurs du début du XXème siècle, ont évoqué un bilan humain extrêmement lourd : environ quatre-vingt-dix personnes périrent, un chiffre remarquable pour une ville qui comptait alors quelques milliers d’habitants. Parmi les victimes se trouvaient des familles entières, des enfants et des séniors. Cette catastrophe affecta profondément la mémoire collective de Sefrou, tant par l’ampleur du deuil que par les pertes matérielles considérables.

 

Aussi, pourrait-on lire dans l’historiographie que l’impact social de cette crue fut accentué par la composition plurielle de la population de Sefrou à la fin du XIXème siècle. La ville abritait alors une importante communauté juive, aux côtés de populations musulmanes. Les historiens de l’époque signalèrent que plusieurs membres de la communauté juive figurèrent parmi les victimes, laissant une empreinte durable dans les récits familiaux et communautaires. D’autres chroniqueurs soulignèrent que des biens essentiels (denrées alimentaires, réserves de farine, huiles et provisions) furent emportés, aggravant le traumatisme des survivants. Certains récits rapportèrent même des scènes de pillage au milieu du chaos, alors que la population, encore sous le choc, cherchait à comprendre l’ampleur de la calamité qui s’était abattue sur elle.

 

Au lendemain de la catastrophe, la ville se trouva confrontée à une reconstruction nécessaire mais difficile. Les autorités locales, les notables ainsi que les communautés religieuses organisèrent des secours et des enterrements pour les disparus. Les récits postérieurs firent état d’un esprit de solidarité, bien que fragile, qui émergea dans les semaines qui suivirent, alors que les habitants tentèrent de panser des blessures aussi bien physiques que psychologiques.

 

Du point de vue géographique, plusieurs facteurs avaient contribué à cette tragédie. Construite au creux d’une vallée, Sefrou était vulnérable aux crues soudaines lorsque l’oued, habituellement tranquille, se gonflait des eaux de ruissellement massives. À cette époque, il n’existait ni système d’avertissement ni infrastructures de régulation, tels que barrages ou digues renforcées, pour atténuer l’effet des crues saisonnières ou des phénomènes météorologiques extrêmes.

 

L’étude de la crue de 1890 s’inscrit aujourd’hui dans une réflexion plus vaste sur l’Histoire des inondations survenues au Maroc, où les phénomènes hydrologiques violents ont laissé des traces durables. Des chercheurs contemporains ont catalogué ces événements comme des avertissements historiques sur l’interaction entre climat, topographie et implantation humaine, soulignant qu’au tournant du XIXème siècle comme aujourd’hui, les oueds pouvaient soudainement se transformer en forces destructrices sous l’effet de conditions météorologiques exceptionnelles.

 

Alors que Sefrou s’apprêtait chaque année à célébrer ses traditions vivantes, du commerce des cerises à des fêtes qui attiraient les regards bien au-delà des montagnes du Moyen Atlas, la mémoire de la crue de 1890 demeure un épisode fondateur qui rappelle, dans les archives et les récits familiaux, la fragilité des sociétés humaines face aux caprices de l’eau, mais aussi la résilience d’une cité qui sut renaître de ses eaux tumultueuses.

 

​ 3 questions à Lhoussaine Youabd : « Le Maroc est particulièrement sensible aux phénomènes climatiques extrêmes »
  Comment caractérisez-vous l’intensité de cet épisode hivernal par rapport aux précipitations habituelles au Maroc ?  
–    Même si cet épisode se distingue par sa force, il s’inscrit dans le cadre normal des dépressions hivernales au Maroc en décembre. Ces phénomènes résultent de systèmes dépressionnaires isolés en altitude, accompagnés d’air très froid dans les couches supérieures de l’atmosphère. Ce qui est particulier cette fois, c’est que ces précipitations surviennent après six années de sécheresse consécutives et la combinaison de plusieurs facteurs météorologiques.   Peut-on établir un lien entre ces fortes pluies et le changement climatique ? Quels risques en découlent pour le pays ?  
–    Le Maroc connaît depuis plusieurs décennies des épisodes alternant sécheresse prolongée et pluies intenses sur de courtes périodes. Cette variabilité accroît la vulnérabilité face aux crues soudaines et aux chutes de neige importantes, même si la quantité annuelle globale reste similaire à la moyenne. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (IPCC), le Maroc, comme ses voisins méditerranéens, est particulièrement sensible aux phénomènes climatiques extrêmes, dont les précipitations intenses.   Quels dispositifs d’alerte précoce sont mobilisés pour anticiper les inondations soudaines ?  
–    La DGM dispose d’un réseau avancé de suivi météorologique comprenant 44 centres provinciaux, 430 stations automatiques, des radars et des images satellites. Ces outils permettent de surveiller l’évolution des conditions en temps réel. Pour les crues soudaines, l’évaluation repose sur l’intensité de la pluie sur de courtes périodes plutôt que sur le total quotidien, ce qui permet de déclencher rapidement des alertes adaptées au niveau de risque.

Historiographie : 1855, l’année où les eaux ont ravagé Safi

Au début de l’année 1855, la ville portuaire de Safi, établie sur les rives de l’Atlantique et traversée par l’Oued Chaâba, avait connu un épisode climatique qui marqua durablement sa mémoire collective. Connue pour son commerce de céramique et d’huile d’olive, ainsi que pour son port animé, Safi n’avait jusqu’alors été que partiellement affectée par les crues saisonnières. Cependant, en janvier de cette année, des pluies exceptionnelles s’abattirent sur les montagnes et les collines environnantes, provoquant la montée rapide de l’oued et des affluents qui irriguaient la plaine.

 

Les habitants furent surpris par la violence des flots. L’Oued Chaâba, habituellement modéré, se transforma en un torrent impétueux qui emporta des ponts de bois, des murs de maisons et des récoltes entières. Dans certains quartiers bas de la médina, les eaux s’infiltrèrent jusqu’aux habitations, obligeant les familles à se réfugier sur les toits ou à utiliser de petites embarcations improvisées pour rejoindre les hauteurs. Les chroniques de l’époque rapportèrent que la population fut frappée par la rapidité de la montée des eaux, et que plusieurs marchands perdirent leurs réserves de grains et de produits d’exportation.

 

L’impact matériel fut considérable. Les entrepôts du port furent inondés et de nombreuses cargaisons destinées à l’exportation furent endommagées ou perdues. La ville, déjà fragile en termes d’infrastructures, dut faire face à des destructions étendues des voies de communication, des ponts et des murailles. Les autorités locales, les notables et les représentants religieux organisèrent des secours, mais l’ampleur des dégâts dépassa largement les moyens immédiats de la cité. Les récits de survivants, compilés dans les registres et chroniques de l’époque, témoignèrent de scènes de chaos mêlées à des efforts de solidarité naissants.

 

Cette crue de 1855 s’inscrivit dans une série d’événements récurrents affectant Safi au XIXème siècle. L’Histoire de la ville montre que l’Oued Chaâba, lorsqu’il était alimenté par des pluies exceptionnelles, pouvait devenir un agent de destruction rapide et inattendu. Les habitants apprirent à redoubler de vigilance lors des périodes pluvieuses, mais l’épisode de janvier 1855 resta un rappel brutal de la vulnérabilité des villes riveraines face aux caprices de l’eau.

 

En dépit de ces pertes, Safi sut se relever. La reconstruction progressa au cours des mois suivants, et la mémoire de la crue demeura gravée dans les récits familiaux et les archives locales. Cet épisode historique rappela la fragilité des sociétés humaines face aux forces naturelles, tout en soulignant la résilience d’une ville qui, malgré les catastrophes répétées, continua de prospérer et de s’affirmer comme un centre économique et culturel sur la côte atlantique.

 

Archives : Des oueds paisibles aux torrents meurtriers

Au cours du XXème siècle et au début du XXIème, le Maroc a été régulièrement frappé par des crues et inondations, laissant des traces durables dans l’Histoire des villes et des régions touchées. Depuis les années 1970, ces événements ont constitué la principale catastrophe naturelle du pays, causant de nombreuses pertes humaines et des dégâts matériels importants. En janvier 1970, une crue dans le Nord du Royaume avait provoqué la mort de plusieurs habitants et endommagé des habitations et des cultures. En 1975, des pluies exceptionnelles avaient entraîné des inondations dans les provinces de l’Ouest, faisant également plusieurs victimes. En 1979, Ouarzazate avait subi une crue qui avait détruit ponts et routes, et en 1985 l’oued Oum Laachar avait débordé sur Guelmim, emportant maisons et récoltes.

 

L’année 1995 fut particulièrement dramatique. Une crue dans la vallée de l’Ourika avait inondé villages et campements, causant la mort de centaines de personnes et laissant de nombreux habitants sans abri. Peu après, les régions de Taza et de Taounate avaient également été frappées, faisant plusieurs dizaines de morts et paralysant la vie locale. Dans les années suivantes, d’autres villes furent touchées. En 1996, Béni Mellal avait subi une crue mortelle, et en 1997 Taza, Khénifra et d’autres localités avaient été inondées après des pluies abondantes.

 

Avec le début du XXIème siècle, les grandes villes et les plaines agricoles ne furent pas épargnées. En 2000, Tétouan et Tanger avaient connu des inondations dévastatrices, et en 2001 et 2002, Casablanca, Settat, Mohammedia et Fès furent affectées par des crues qui provoquèrent des pertes humaines et des destructions importantes. En 2003, Nador et Al Hoceima avaient été frappées par des inondations faisant plusieurs dizaines de victimes. Les épisodes suivants touchèrent Marrakech, Driouch et Taroudant, rappelant que le pays reste vulnérable aux phénomènes météorologiques intenses.
 

Faits marquants : Le Maroc sous la menace des eaux

Les inondations répétées qui ont frappé le Maroc au XXème siècle et au début du XXIème révèlent les interactions complexes entre climat, topographie et aménagement urbain. Sur le plan climatique, ces catastrophes sont souvent liées à des précipitations intenses concentrées sur une courte période, combinées à des orages saisonniers et à des flux atlantiques qui apportent d’importantes masses d’eau. Les modèles météorologiques montrent que les régions montagneuses et les plaines côtières du Maroc sont particulièrement vulnérables aux crues soudaines, car les oueds et rivières peuvent se gonfler rapidement, transformant des cours d’eau habituellement modérés en torrents destructeurs. La fonte des neiges dans le Haut Atlas, ajoutée aux pluies exceptionnelles, accentue ce phénomène en augmentant le débit des affluents et en saturant le sol, ce qui provoque un ruissellement massif.

 

Selon nos climatologues et météorologues interrogés, la configuration géographique et l’urbanisation des villes amplifient cette vulnérabilité. Les centres historiques construits au bord des oueds, avec des infrastructures anciennes ou peu résistantes, sont particulièrement exposés. Les zones urbaines modernes, souvent pavées et imperméabilisées, favorisent le ruissellement rapide, empêchant l’infiltration naturelle de l’eau et augmentant la hauteur et la vitesse des crues. De plus, la croissance démographique rapide et l’extension des villes sans planification adaptée ont conduit à la construction dans des zones inondables, renforçant le risque pour les populations et les biens.

 

Selon la Direction Générale de la Météorologie, la prévention passe par l’intégration de données hydrologiques et météorologiques dans la planification urbaine. La construction de digues, de bassins de rétention et de systèmes de drainage adaptés permet de réguler le débit des rivières et d’absorber les excédents d’eau. Les systèmes d’alerte précoce, basés sur la mesure des précipitations et des niveaux d’eau, permettent de déclencher des évacuations rapides. 

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