La fusion entre la CNSS et la CNOPS fait son chemin au Parlement. Entre-temps, de nombreux défis pèsent sur la trajectoire de la Sécurité sociale universelle. Décryptage.
Si des avancées majeures ont été réalisées en termes d’Assurance maladie qui a intégré près de 22 millions de personnes, notamment les travailleurs non-salariés et les anciens bénéficiaires du RAMED, la gouvernance fait défaut tant que la gestion du régime n’est pas tranchée. La fusion CNSS-CNOPS est toujours en discussion au Parlement. Le projet de loi n°54.23 fait l’objet d’amendement au niveau de la Commission des secteurs sociaux après avoir été retransmis par les Conseillers. Ce chantier a pris tellement de temps qu’il a commencé à susciter des questions, au moment où l’unification des régimes s’impose pour mutualiser les risques financiers.
Le transfert épineux
Théoriquement, il s’agit d’un transfert des compétences de la CNOPS vers la CNSS. Par conséquent, la fusion entre les deux gestionnaires est seulement administrative, sachant qu’il y aurait toujours deux pôles, privé et public. Le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, l’a répété plusieurs fois. Idem pour le patron de la CNSS, Hassan Boubrik, qui insiste sur le mot intégration ou transfert plutôt que fusion.
Ce transfert devrait commencer une fois la loi promulguée et se fera sur 12 mois. Le processus est complexe. Il faut à la fois transférer le système d’information, le personnel et les actifs de l’AMO.
Cette transition est une condition sine qua non pour une meilleure gouvernance à tous les niveaux, y compris le volet financier, sachant que la CNSS est excédentaire contrairement à la CNOPS.
L’éparpillement des régimes ne favorise pas la viabilité financière à long terme de la couverture médicale dans son ensemble, conclut un rapport du Centre marocain de la gouvernance et du management en collaboration avec l’Institut Konrad Adenauer, qui juge nécessaire de consolider l’AMO en deux pôles. Ce qui était initialement prévu.
Youssef Guerraoui Filali, l’auteur du rapport, insiste sur l’équité entre les deux régimes qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Le fait d’avoir un système public-privé unifié doit mettre fin à l’inéquité en termes de remboursement et d’indemnisation, il n’est pas anormal que les remboursements de la CNOPS soient supérieurs à ceux de la CNSS, explique-t-il dans une interview accordée à «L’Opinion».
AMO : Encore des gens qui manquent à l’appel !
La gouvernance est un chantier parallèle avec la généralisation de l’AMO qui, rappelons-le, est loin d’être totalement achevée. Le taux de couverture atteint 88% de la population, selon les chiffres du ministère de la Santé. 24,8 millions de Marocains sont inscrits à l’AMO de la CNSS, dont 11 millions qui ont leurs ayants-droit intégrés dans le régime Tadamon.
Au total, 31,8 millions sur 36,8 de Marocains recensés sont immatriculés auprès des régimes d’assurance maladie existants sur une population totale évaluée à 36,8 Millions d’habitants. Cela dit, environ 13% de la population, soit environ 5 millions de personnes, ne sont pas encore assurés. A quoi s’ajoutent les personnes qui sont en situation de droits fermés qui les empêchent d’accéder aux soins malgré leur immatriculation.
Ils étaient 3,5 millions en novembre en 2024, selon les chiffres du Conseil économique, social et environnemental. Le rapport du Centre Marocain pour la Gouvernance et le Management (CMGM) estime qu’environ 8,5 millions ne peuvent pas accéder aux soins, soit environ 23% de la population. Cela est dû à plusieurs facteurs dont le fameux seuil d’accès au mode de calcul jugé trop sélectif et parfois pénalisant. Ce scoring se base sur plusieurs critères, dont les dépenses. Il est calculé de façon telle que la moindre amélioration supposée du niveau de vie, aussi minime soit-elle, peut barrer l’accès à l’AMO. Plusieurs familles se sont vues exclues pour des raisons qu’elles jugent injustifiables. Le scoring doit être plus inclusif, plaide Youssef Guerraoui Filali. C’est sur quoi se penche actuellement le gouvernement. Le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a annoncé une nouvelle révision.
Vers l’assurance chômage
Le chômage pèse également sur la trajectoire de la Sécurité sociale. Un phénomène exacerbé par celui des NEET (jeunes sans formation ni emploi) dont le nombre dépasse 1,5 million de personnes. “Les NEET ont un impact direct sur le régime de la couverture sociale du moment qu’ils ne sont pas aptes à cotiser et qu’ils ont besoin d’être pris en charge. Tant que leur nombre est si élevé, cela pèse lourd sur les dépenses de l’AMO car c’est l’Etat qui paye à leur place. D’où l’urgence d’intégrer cette catégorie dans le tissu économique”, fait remarquer M. Filali à cet égard.
Jusqu’à présent, le chômage n’est pas encore pris en compte dans la stratégie de couverture sociale. Bien qu’elle existe dans la CNSS, l’indemnité de perte d’emploi reste très timide puisqu’elle n’est destinée qu’aux salariés ayant perdu leur emploi indépendamment de leur volonté. Celle-ci reste aussi conditionnée par des critères rigoureux.
L’assurance chômage, rappelons-le, fait partie de la généralisation de la couverture sociale. Selon le calendrier initial, elle devrait voir le jour dès 2025. Le gouvernement continue de faire la course contre la montre pour y parvenir. La réforme devrait être entamée éminemment, tel que l’avait fait savoir, le 4 décembre, Fouzi Lekjaa, à la Chambre des Représentants.
Le privé qui tire les ficelles
Par ailleurs, au fur et à mesure que la couverture sociale s’élargit, l’Etat tente tant bien que mal de supporter le fardeau financier, d’autant qu’il prend en charge totalement les personnes démunies sans revenu. Le coût total de la protection sociale, y compris les aides directes, s’élèvera à 41 MMDH en 2026.
Le fardeau de l’AMO en particulier reste lourd étant donné la hausse des dépenses de remboursement. 12 sur 14 millions de dossiers ont été traités à la CNSS à fin mars 2025 pour un montant de 17 MMDH. C’est le secteur privé qui en bénéficie le plus en accaparant 90% des remboursements. Ce qui pèse lourd sur la durabilité des caisses à long terme. Tout dépend de l’hôpital public et de sa capacité à se hisser au niveau des cliniques.
Pourquoi, à votre avis, l’assurance maladie tarde-t-elle à voir le jour ?
La généralisation des pensions dépend-elle de la réforme des retraites ?
Aussi, le flou plane-t-il sur la réforme des régimes de retraite. Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a eu aucune avancée malgré les nombreuses réunions que l’Exécutif a tenues avec les centrales syndicales. En dépit d’un calme apparent, les discussions restent difficiles. Les pommes de discorde sont nombreuses. Les syndicats refusent de faire le moindre sacrifice alors que le gouvernement demande des efforts, au moment où le prolongement de l’âge de départ à la retraite s’impose. Les pourparlers avec les partenaires sociaux sont si complexes que le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a reporté sans cesse la réforme. Maintenant, il reste moins d’un an pour boucler cette réforme épineuse.
l’unification des régimes de l’AMO. Celle-ci doit être faite dans une logique de cohérence interinstitutionnelle. Le rapport plaide pour le renforcement de la coordination entre l’ensemble des acteurs de la protection sociale (ANAM, ACAPS, CNSS, CNOPS, ministère de l’Economie et des Finances, etc.) en vue d’améliorer l’efficacité du système de couverture sociale.
“Il s’agit d’une meilleure articulation des missions en vue de maîtriser les risques, notamment l’intégrité et la cohérence des systèmes d’information”, souligne la même source, qui appelle également au renforcement des prérogatives de l’ACAPS. Selon le document, il va falloir élargir le champ d’intervention de l’Autorité par voie d’une réglementation spécifique amendant la loi N°64-12 (médiation des assurés, sanctions des opérateurs, contrôle des indicateurs, etc.), vu l’importance des volumes financiers et la sensibilité des droits des assurés mis en jeu dans le cadre du projet de généralisation de la protection sociale.
