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mercredi, décembre 17, 2025

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​CDN 3.0 : Nos ambitions climatiques sont-elles réalisables ? [INTÉGRAL]

Le Maroc vient de dévoiler la troisième version de sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN), avec des objectifs climatiques plus ambitieux et des investissements plus conséquents. Cette feuille de route pose de nouveaux défis à l’État, qu’il s’agisse de financements, de justice territoriale ou d’emploi.

À Belém, en Amazonie brésilienne, la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leïla Benali, a dévoilé, en marge de la COP30, la troisième version de la Contribution Déterminée au niveau National (CDN) du Maroc, avec des objectifs plus ambitieux que ceux des versions précédentes.
 
La CDN fait partie des engagements de l’accord de Paris sur le climat. En effet, chacun des pays signataires doit se doter d’un tel plan détaillant ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et d’adaptation aux effets du changement climatique.
 
Le Royaume vise désormais une réduction de ses émissions de 53% à l’horizon 2035, contre 45,5% pour 2030 précédemment. Le coût de cette nouvelle CDN a de quoi donner le tournis : selon le document, les mesures d’atténuation du changement climatique sont estimées à 60 milliards de dollars, et celles de l’adaptation à 36 milliards de dollars pour la période 2026-2035.
 
Réorienter les investissements
 
En réalité, il ne s’agit pas tant de mobiliser de nouveaux financements que de réorienter les investissements publics et privés déjà programmés. “La CDN permet de s’assurer que les budgets et les chantiers engagés par l’État sont conçus en cohérence avec les objectifs climatiques”, explique Ahmed Khalid Benomar, coordonnateur du projet transition juste pour le ministère de l’Economie et des Finances.
 
Le Royaume cumule une décennie d’expérience dans ce domaine, rappelle le coordonnateur. Ainsi, la grande majorité des stratégies sectorielles intègrent déjà cette dimension climatique dans leur conception, qu’il s’agisse de l’eau, du transport, de l’urbanisme ou encore des infrastructures.
 
Dans la CDN, les engagements sont répartis entre inconditionnels et conditionnels. L’inconditionnel relève de la responsabilité directe de l’État et inclut l’intégration de ces objectifs climatiques en amont de l’ensemble des politiques publiques. Le conditionnel, en revanche, suppose la mobilisation de bailleurs de fonds, notamment étrangers.
 
Le Maroc est bien placé sur ce plan, puisqu’il figure parmi les pays qui reçoivent le plus de financements climatiques sur le continent, grâce à son savoir-faire dans le montage de projets “bankables” auprès de ses partenaires financiers internationaux.
 
Aider les PME
 
Pour le secteur privé, la nouvelle Charte de l’investissement a introduit des incitations à caractère climatique. Sur les 30% potentiellement pris en charge par l’État pour un projet, 10% sont conditionnés à des critères environnementaux (soit 3% du Capex), liés notamment à la gestion de l’eau, à la réduction des émissions, au recours aux énergies renouvelables ou au recyclage.
 
Reste la question des PME, pour lesquelles ces enjeux ne constituent pas toujours une priorité, notamment pour des raisons de trésorerie. “Un investissement dans l’efficacité énergétique est rentable sur cinq ou six ans. Mais à court terme, elles ne disposent pas de la trésorerie nécessaire pour s’y engager”, illustre Mounir Temmam, expert pour la GIZ, agence qui a accompagné le Maroc dans l’élaboration de sa CDN. D’où l’intérêt de mettre en place des incitations adaptées à leur situation.
 
Taxe carbone
 
Aligner les politiques publiques sur les défis climatiques implique également une adaptation du système fiscal. La loi-cadre 69-19 portant réforme fiscale en fait explicitement état. Son article 7 prévoit la mise en place de mesures fiscales dédiées à la protection de l’environnement, notamment à travers l’instauration d’une taxe carbone.
 
Faut-il donc s’attendre à l’application du principe du pollueur-payeur pour les entreprises, ou encore à une surtaxation de certains produits pour les consommateurs ? “L’efficacité de telles mesures n’est pas prouvée, même dans les pays européens qui les ont mises en place”, estime Ahmed Khalid Benomar.
 
Selon lui, certaines taxes existantes, comme la Taxe intérieure de consommation (TIC), la vignette et autres, s’apparentent déjà à des formes de taxation carbone. Le carburant, par exemple, est un produit fortement taxé au Maroc. Par ailleurs, “nous veillons à ne pas grever la compétitivité de nos entreprises par des charges fiscales supplémentaires”, ajoute-t-il.
 
Injustice territoriale
 
Dans sa CDN 3.0, le Maroc affirme que la transition écologique doit être socialement équitable, c’est-à-dire qu’elle doit respecter les principes de justice sociale et territoriale. En effet, les populations les plus pauvres sont souvent les plus vulnérables aux effets du changement climatique, comme en témoigne la sécheresse qui a frappé le Maroc ces dernières années.
 
Une politique d’investissement durable comporte aussi un risque de déséquilibre territorial, surtout lorsqu’elle privilégie certaines régions au détriment d’autres, comme l’illustre le secteur du transport. Les efforts engagés pour décarboner la mobilité collective, qu’il s’agisse du TGV, du RER, du tramway ou des BHNS, se sont majoritairement concentrés sur les grands axes urbains.
 
Pour Ahmed Khalid Benomar, l’État a déjà consenti un effort en sortant de l’axe Rabat-Casablanca pour investir dans d’autres grandes villes, tout en dotant les villes moyennes de transports publics modernes. Cependant, “quand on descend à un certain niveau, la solution n’est pas le transport collectif, mais la mobilité électrique, comme les taxis, les voitures individuelles, les vélos électriques et autres”, estime-t-il.
 
Le problème est que, plus on descend à un certain niveau de granularité territoriale, plus l’investissement devient important, en raison du poids élevé des coûts fixes propres aux systèmes de transport collectif. Toutefois, l’État dispose déjà d’une stratégie en ce sens, couvrant l’ensemble du maillage territorial.
 
Les emplois verts
 
Cette politique soulève également la question de l’emploi, la transition écologique s’accompagnant inévitablement de destructions de postes dans certains secteurs. Par exemple, le basculement d’une centrale à charbon, mobilisant des milliers de salariés, vers un parc éolien ne nécessitant qu’une dizaine de travailleurs entraîne une diminution de la main-d’œuvre.
 
Toute notre réflexion tourne autour non seulement de la manière de conserver le maximum d’emplois, mais aussi d’accompagner les reconversions professionnelles”, insiste le coordonnateur du projet transition juste. La transition écologique constitue une opportunité pour le Maroc de créer des écosystèmes industriels autour de ces nouveaux secteurs, avec des emplois verts, qualifiés et de meilleure qualité.
 

 

3 questions à Ahmed Khalid Benomar : “Dans le domaine climatique, le Maroc dispose déjà d’une longueur d’avance”
Comment l’Etat compte-t-il financer les objectifs climatiques de la CDN 3.0 ?

 
La CDN n’est ni un projet, ni un programme, ni une initiative en soi, assortie d’un budget spécifique. Elle constitue avant tout un cadre permettant aux pays d’évaluer dans quelle mesure les investissements publics, et même privés, s’inscrivent dans une trajectoire de décarbonation. Il s’agit d’un mécanisme qui vise à orienter les politiques publiques afin que les choix d’investissement contribuent effectivement aux objectifs climatiques. Concrètement, il peut s’agir des mêmes enveloppes budgétaires mobilisées pour des chantiers existants, mais avec des projets repensés ou réajustés de manière à intégrer des critères de durabilité et de réduction de l’empreinte climatique. Sur cette question, communément désignée comme l’alignement budgétaire, le Maroc dispose déjà d’une longueur d’avance. Cette démarche est engagée dans plusieurs secteurs depuis près d’une décennie, notamment à travers les orientations de Sa Majesté le Roi, ainsi que dans les programmes gouvernementaux et les stratégies sectorielles. Une part significative des politiques publiques converge déjà vers ces objectifs. La marge de manœuvre se situe désormais davantage dans les leviers permettant d’accélérer la trajectoire. Cela peut passer par la mobilisation de projets ciblés dans des domaines où des faiblesses ou des retards ont été identifiés.
 

Doit-on contraindre les entreprises à baisser leurs émissions de GES ?

 
Il faut rester réaliste. Aujourd’hui, ces logiques ne sont pas encore généralisées au sein de la majorité du tissu industriel, en particulier les PME. On se situe encore essentiellement au stade de l’incitation, à travers des projets, des solutions et des technologies orientés vers la décarbonation. Il existe certes des expériences de grands projets d’investissement intégrant des objectifs climatiques, mais il s’agit le plus souvent de mégaprojets. L’exemple de l’usine Renault de Melloussa, conçue selon un modèle à zéro émission, illustre ce type d’approche. À l’échelle de l’écosystème industriel dans son ensemble, les enjeux sont plus complexes. La question centrale reste celle des mécanismes d’incitation, comme celles introduites par la Charte de l’investissement. Pour les projets de plus petite taille, des dispositifs incitatifs ont été mis en place. C’est le cas des mesures fiscales ayant accompagné le développement du pompage solaire dans l’agriculture, ou encore des véhicules électriques, avec notamment l’exonération de la vignette.
 

Que gagne le Maroc de ces engagements climatiques ?

– Dans le domaine climatique, le Maroc a une vraie carte à jouer, puisqu’il dispose d’un potentiel illimité. Il est possible de développer les énergies renouvelables sur l’ensemble du territoire et sous différentes formes. Le pays devrait en tirer profit pour créer de l’emploi et accélérer son développement.

Accord de Paris : Les programmes de compensation inter-étatiques
Le Maroc figure parmi les premiers pays au monde appelés à bénéficier du marché carbone international prévu par l’Accord de Paris. Son article 6 ouvre la voie à des mécanismes de coopération entre États, permettant à un pays de financer des projets de réduction des émissions de GES dans un autre pays, en contrepartie d’unités de réduction carbone comptabilisables dans ses propres engagements climatiques.
 
Dans ce cadre, le Royaume a signé plusieurs accords bilatéraux, notamment avec la Suisse. Un premier projet est d’ores et déjà acté entre les deux gouvernements et porte sur le déploiement de 500 MW de capacités solaires photovoltaïques sur des toitures.
 
D’autres projets devraient être lancés dans les prochains mois, en particulier avec la Norvège, qui a signé un accord avec le Maroc en décembre 2023, en marge de la COP28 de Dubaï, en vue de la mise en œuvre de mécanismes relevant de l’article 6.
 
Pour accompagner ces chantiers, le Maroc bénéficie de l’appui du Global Green Growth Institute (GGGI), une organisation internationale dont la mission est de soutenir les pays partenaires dans la mise en œuvre de stratégies de croissance verte.
 
Dans ce cadre, un programme spécifique, baptisé DAPA (Designing Article 6 Policy Approaches), a été lancé afin d’aider les États à structurer leurs cadres réglementaires et institutionnels liés au marché carbone.
 
Le Maroc a retenu deux cadres juridiques sur lesquels pourront s’appuyer les mécanismes de compensation carbone. Il s’agit de la loi 13-09 relative aux énergies renouvelables, telle que modifiée, et de la loi 82-21 relative à l’autoproduction d’électricité.

​COP30 : Des financements plus importants
Les décisions prises durant la COP30 ont principalement porté sur les mécanismes de financement et de coopération internationale. Les pays développés se sont engagés à conduire un effort visant à mobiliser 1.300 milliards de dollars par an à l’horizon 2035 pour soutenir l’action climatique. Les financements consacrés à l’adaptation doivent, dans ce cadre, doubler d’ici 2025 puis tripler d’ici 2035.

La mise en œuvre opérationnelle du Fonds pour pertes et dommages a été confirmée, avec la validation de cycles de reconstitution réguliers. Par ailleurs, de nouvelles initiatives ont été annoncées, dont l’Accélérateur mondial de la mise en œuvre et la Mission de Belém vers l’objectif de 1,5 degré, destinées à renforcer la coordination et le déploiement des actions climatiques.

Les parties ont également acté un engagement visant à promouvoir l’intégrité de l’information et à lutter contre la diffusion d’informations erronées liées aux enjeux climatiques.

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