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vendredi, décembre 5, 2025

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Guillermo del Toro : « J’aimerais être un monstre »

Lors de sa rencontre avec L’Opinion et plusieurs médias, dans une table ronde à La Mamounia, en marge de la 22ᵉ édition du Festival international du film de Marrakech, Guillermo del Toro s’est livré avec la générosité et la profondeur qui le caractérisent. Le cinéaste mexicain, maître du fantastique contemporain, a déroulé une réflexion ample sur la résurgence du gothique, la place des émotions dans le cinéma, sa vision des monstres, mais aussi sur le rôle d’un festival comme Marrakech dans la circulation mondiale des imaginaires.

Interrogé sur le regain actuel du cinéma gothique – illustré par Nosferatu, son propre Frankenstein ou encore les séries vampiriques contemporaines –, del Toro y voit moins une tendance qu’un mouvement cyclique propre aux sociétés. « Tout revient, si on garde la mode suffisamment longtemps dans sa poche », sourit-il.
 
Pour lui, le gothique ressurgit chaque fois que le monde se fait « trop rationnel, trop froid, trop inhumain ». Le genre, dit-il, se connecte « profondément à l’esprit, aux contes, à ce qui nous échappe », et offre un espace où les émotions refoulées trouvent refuge. L’Histoire culturelle lui donne raison : l’explosion romantique face à l’industrialisation, l’esthétique rebelle des bohémiens londoniens d’après-guerre… Autant de retours du sensible contre la rigidité des époques.
 
« Nous ne pouvons pas exprimer nos émotions au quotidien, alors nous les projetons dans le cinéma », résume-t-il.
 
Le Maroc, un terreau d’histoires : “J’aimerais voir du cinéma de fantômes marocain”
 
À la question de savoir si les mythes et légendes marocains pourraient un jour nourrir son imaginaire, Guillermo del Toro répond avec prudence et désir : « J’aimerais bien, mais la mythologie est délicate. Elle doit devenir une seconde nature pour pouvoir être racontée. » S’il ne se projette pas personnellement dans ces récits, il se dit avide de découvrir un cinéma marocain du surnaturel : « J’aimerais voir des films de fantômes marocains, c’est sûr. »
 
Fidèle au Festival international du film de Marrakech, del Toro en vante la singularité : un rendez-vous de taille internationale, mais préservé de l’agitation commerciale.
 
« Ici, vous n’êtes pas là pour conclure un deal. Vous êtes là pour parler cinéma. L’audience adore les films, elle est passionnée et proche. » Le cinéaste évoque un événement qui “met le Maroc sur la carte”, en renforçant ses échos dans le paysage mondial, tout en rapprochant le public local du cinéma d’auteur.
 
Et, fidèle à son humour gourmand, il glisse : « Et puis, il y a la meilleure vanille laitière du monde… ça garantit ma présence chaque fois que je suis invité ! »
 
Les monstres : un miroir pour accepter nos imperfections
 
Del Toro revient longuement sur la fonction des monstres dans son œuvre et dans la culture. Leur existence à l’écran nécessite de “construire un monde où ils semblent naturellement vivants”, explique-t-il à L’Opinion, avant d’ajouter que l’écriture doit les éloigner du cliché pour révéler leur profondeur.
 
L’image du monstre portant une femme, cliché absolu de l’horreur, devient sous sa caméra « un moment d’harmonie », presque lumineux. Pour lui, les monstres ne sont pas des repoussoirs, mais des modèles : « Le monde demande aux gens d’être parfaits. Les monstres leur permettent d’être imparfaits. »
 
Il confie même : « J’aimerais être un monstre. » Une manière de revendiquer la vulnérabilité, l’émotion brute, l’humanité dans ce qu’elle a de bancal. L’artiste assume une hypersensibilité qu’il juge essentielle à son travail : « Je suis très fier d’être ridiculement émotionnel. »
 
Del Toro aborde ensuite l’idée du monstre intérieur, concept fondamental de sa filmographie. « Celui dont vous ne parlez pas vous contrôle », dit-il. Plus on tente de l’éloigner, plus il s’impose. Il décrit l’époque actuelle comme un moment où tout est « substitué au noir et blanc », alors que « l’oxygène de la vie est dans le gris ». D’où l’importance, selon lui, de dire ce que l’on pense ne pas avoir le droit de dire, de laisser sortir ce qui cherche à se cacher.

 Une prise de position politique assumée
 
Interpellé sur la pétition dénonçant le génocide à Gaza, qu’il a signée à Venise puis à Cannes, del Toro ne tergiverse pas. « Je l’ai signée parce qu’il n’y a pas d’autre alternative si vous voulez vivre avec vous-même. » Il rejette toute ambiguïté lexicale : « Si ce n’est pas le mot que vous utilisez, quel autre nom peut-on donner ? » Sa franchise tranche avec le silence prudent de nombreuses figures de l’industrie.
 
Comics modernes : la crise du “super-héros parfait”
 
Grand amateur de BD, del Toro avoue avoir peu lu de nouveautés depuis la fin des années 2010. Si certaines mythologies l’inspirent — Hellboy, Blade, Hulk — c’est parce que leurs figures sont “imparfaites, monstrueuses, instables”.
 
Les super-héros idéalisés, eux, l’ennuient : « Les personnages d’un absolu moral me semblent impossibles à imaginer en dehors de la propagande. »
 
Netflix, Warner et l’ère des consolidations
 
Apprenant presque en direct l’acquisition de Warner Bros par Netflix, le réalisateur s’inquiète des effets d’une telle concentration sur la création, sans s’avancer davantage. Un bouleversement majeur que Hollywood aura sans doute du mal à absorber.
 
Frankenstein, une conclusion… et un nouveau départ
 
Enfin, del Toro évoque Frankenstein, qu’il considère comme l’aboutissement d’un cycle esthétique dans sa carrière. « En tant que réalisateur, vous vous battez pour avoir votre voix, mais un jour vous en êtes fatigué. Frankenstein était la conclusion d’un certain style. »
 
Regarder en arrière, dit-il, c’est comme constater que la boîte de donuts est déjà presque vide : « effrayant », mais nécessaire pour aller vers autre chose.

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