Le Maroc vit un paradoxe sanitaire inquiétant : une pénurie structurelle de médecins, alors même que plusieurs centaines de praticiens hautement qualifiés quittent chaque année le système public, non par usure professionnelle, mais simplement parce qu’ils atteignent l’âge administratif de la retraite.
Leur départ crée un vide que les jeunes promotions de médecins ne parviennent pas encore à combler.
La réponse est évidente : Oui.
Ces praticiens ont aujourd’hui entre 65 et 70 ans.
Supposons qu’ils sont en bonne santé qui leur permet de travailler encore.
Et surtout, ils n’ont rien perdu de leur savoir-faire, ni de leur capacité à encadrer, soigner, ou stabiliser des services hospitaliers fragilisés.
Dans de nombreux pays, cette liste existe.
Elle constitue ce que l’on appelle une « réserve sanitaire », activable en cas de besoin : épidémie, catastrophe naturelle, manque critique de ressources humaines.
Le Maroc, qui s’est engagé dans une refonte historique de son système de santé, n’a-t-il pas intérêt à s’inspirer de ces modèles pragmatiques ?
La montée en compétence d’un spécialiste, parfois davantage.
Autrement dit : même avec l’augmentation du numerus clausus et les réformes universitaires, la réponse structurelle prendra du temps.
En attendant, les services publics se vident.
Dans une région donnée, un seul départ à la retraite peut paralyser un bloc opératoire, désorganiser un service de psychiatrie ou contraindre un hôpital provincial à transférer ses patients. Sans parler des zones qui souffrent de déserts médicaux de façon structurelle.
Ces médecins retraités — chirurgiens, urgentistes, psychiatres, généralistes — pourraient travailler deux ou trois jours par semaine.
Ils pourraient assurer des consultations, des gardes ponctuelles, des interventions programmées, ou accompagner les jeunes internes et résidents dans leur formation clinique.
Ce n’est pas un luxe.
C’est un amortisseur indispensable pour un système sous tension.
Pourtant, la mobilisation des médecins retraités semble buter sur plusieurs obstacles :
• une vision administrative rigide de la retraite, héritée d’un autre temps ;
• l’absence d’un cadre contractuel clair, court, flexible et adapté ;
• l’absence d’un mécanisme permettant d’identifier et de mobiliser rapidement ces compétences ;
• une perception erronée consistant à croire qu’un médecin de 65 ans n’a plus sa place alors que son expertise est souvent à son sommet.
Cette vision mérite d’être reconsidérée.
Il serait illogique — voire contre-productif — de laisser partir des cadres expérimentés au moment même où le pays a le plus besoin d’eux.
Un contrat d’un à deux ans, renouvelable, avec des objectifs mesurables, pourrait permettre de mobiliser ces médecins seniors dans :
• la mise en place des parcours de soins régionaux ;
• l’encadrement pédagogique des jeunes médecins ;
• la stabilisation des plateaux techniques en tension ;
• la continuité des soins dans les zones sous-dotées.
Une question de santé publique… et de bon sens
Dans un Maroc où la demande en soins augmente, où les attentes citoyennes s’intensifient et où la réforme du système de santé est scrutée de près, peut-on se permettre de laisser inactifs des centaines de médecins prêts à servir encore, avec loyauté et compétence ?
Réhabiliter leur rôle, organiser leur mobilisation, leur offrir un cadre contractuel souple et valorisant : voilà une piste concrète, réalisable, presque évidente, pour atténuer la pénurie médicale en attendant que le pays forme suffisamment de nouvelles générations de praticiens.
Une chose est certaine : l’expertise ne prend pas sa retraite.
Elle se transmet.
Et aujourd’hui, elle manque cruellement au système de santé marocain.
